• Comment appliquer le droit international sur des territoires d’une organisation terroriste ?

    La lutte contre le terrorisme, qui conduit des États à bombarder des territoires étrangers, voire à y tuer leurs propres ressortissants, conduit à des « dilemmes extrêmement compliqués », entre respect du droit international et notion de légitime défense, admet un haut responsable de l'Onu.
    « On ne combat pas le terrorisme sans respecter les principes du droit international. Mais le terrorisme induit des situations de plus en plus complexes et place les États face à des dilemmes extrêmement compliqués », résume dans un entretien à l'AFP Jean-Paul Laborde, directeur du Comité contre le terrorisme de l'Onu. En Syrie, en Irak, les jihadistes du groupe État islamique (EI), « une organisation terroriste et inscrite comme telle par l'Onu », insiste ce responsable, contrôlent de vastes territoires. « La question qui se pose est alors la suivante : comment appliquer le droit international sur des territoires qui relèvent d'une organisation terroriste ? »


    En Syrie et en Irak, une coalition internationale pilotée par les États-Unis bombarde depuis plus d'un an l'EI, qui a proclamé un califat à cheval sur les deux pays. Au risque de faire des victimes civiles. Fin août, la Grande-Bretagne a mené une frappe en Syrie pour éliminer deux de ses ressortissants, accusés de préparer un attentat sur le sol britannique. Et il y a quelques jours, la France a mené une frappe qui pourrait avoir tué jusqu'à six jihadistes français. Paris s'appuie sur l'article 51 de la Charte de l'Onu, qui mentionne la « légitime défense », et indique que ses frappes en Syrie visent des camps de l'EI dans lesquels des jihadistes fomentent des projets d'attentat en France. « Il y a des éléments de légitime défense évidents. La France a été clairement désignée comme un ennemi par Daech (acronyme arabe de l'EI), et des attentats ont été commis sur le sol français par des personnes se réclamant de cette organisation. La difficulté, c'est qu'aujourd'hui on a peu d'informations sur les cibles visées en Syrie et pas d'éléments judiciaires complets qui permettraient de dire qu'on est dans le cadre d'une infraction bien précise », reconnaît M. Laborde, qui est aussi un juge.
    Ces frappes « peuvent être attaquées juridiquement, heureusement d'ailleurs. C'est bien pour ça que nous sommes dans un État de droit. Mais l'État de droit, c'est aussi une question d'équilibre. Vous avez en face de vous une organisation terroriste qui forme des gens qui vont venir vous frapper ensuite et vous ne bougez pas ? Vous saviez et vous n'avez rien fait? Ce sont des situations très compliquées, il n'y a pas de réponse blanc/noir ».

    « Quelques bonnes nouvelles »
    Les deux plus grandes organisations « terroristes » à l'heure actuelle – EI au Moyen-Orient et Boko Haram en Afrique – « ont mis nos États en face d'une menace extrêmement fluide et flexible », souligne le responsable onusien. « Elles commettent des opérations en fonction de la réponse, et plus la réponse est faible, plus elles frappent fort. Ensuite, elles savent utiliser tous les moyens de financement – vente d'antiquités, enlèvements, vente du pétrole, trafic d'êtres humains... – à disposition, et la communauté internationale, qui n'est pas suffisamment coordonnée, a toujours deux, trois, quatre temps de retard », déplore M. Laborde. Dans son dernier rapport de septembre, le Comité de l'Onu contre le terrorisme plaide pour un renforcement des échanges de renseignements entre compagnies aériennes et pouvoirs publics pour détecter l'arrivée ou le départ de jihadistes étrangers, et suggère notamment la création d'une antenne régionale d'Interpol pour les pays du Maghreb. « Il y a tout de même quelques bonnes nouvelles » dans la lutte antiterroriste, estime M. Laborde, citant « la mobilisation croissante des entreprises et de la société civile ». « YouTube a supprimé en deux ans 14 millions de vidéos d'apologie ou d'incitation au terrorisme. Facebook reçoit un million de notifications de messages suspects par semaine », rappelle-t-il. « Quant aux sociétés civiles, on a vu les mobilisations après les attentats de janvier 2015 en France ou la semaine dernière en Turquie, où des milliers de personnes sont descendues dans la rue » le lendemain du carnage perpétré à Ankara contre des manifestants prokurdes. « Pensez encore à la Tunisie : malgré tous les coups qu'ils prennent (deux attentats sanglants en 2015), ils continuent à lutter dans le cadre de l'État de droit. Ne les laissons pas tomber », conclut-il.


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