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Génocide rwandais : le principe de légalité fait obstacle à l’extradition
La chambre criminelle affirme, sur le fondement du principe de légalité, l’impossibilité d’extrader vers le Rwanda des personnes accusées d’avoir participé au génocide d’avril à juillet 1994.
Par trois arrêts rendus le même jour, l’un ayant conduit à un rejet, les autres à une cassation sans renvoi, la chambre criminelle considère que l’article 696-3, 1°, du code de procédure pénale, qui n’autorise l’extradition que pour « les faits punis de peines criminelles par la loi de l’État requérant », fait obstacle à une extradition au Rwanda motivée par des faits relevant de la qualification de génocide.
Dans le premier arrêt, le pourvoi avait été formé par le procureur général près la cour d’appel de Douai. Cette juridiction avait émis un avis défavorable à la demande d’extradition d’un individu accusé d’avoir participé au génocide de 1994. Cette décision de la chambre de l’instruction semblait tirer les leçons d’arrêts rendus ces deux dernières années par la chambre criminelle (Crim. 24 avr. 2013, n° 13-81.061, Dalloz jurisprudence ; 11 juill. 2012, n° 12-82.502, Dalloz jurisprudence). En effet, dans l’arrêt du 11 juillet 2012, la chambre criminelle reprochait à la chambre de l’instruction de n’avoir pas recherché concrètement « si la personne réclamée [bénéficierait], dans les faits, des garanties fondamentales de procédure et de la protection des droits de la défense » et de ne pas s’être expliquée « sur la réciprocité d’incriminations, sur l’allégation d’une finalité politique de la demande d’extradition et sur la prescription invoquée ». Le 24 avril 2013, elle faisait plus précisément grief à la chambre de l’instruction de n’avoir pas recherché « si les faits justifiant l’extradition étaient punis par une loi rwandaise antérieure à la date à laquelle ils auraient été commis ».
Les deux arrêts cassés avaient été renvoyés devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris qui, croyant n’avoir qu’à renforcer la motivation, avait maintenu un avis partiellement favorable quant à la demande d’extradition. D’une part, elle considérait que la combinaison de la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide du 9 décembre 1948 et de celle sur l’imprescriptibilité des crimes de guerre et contre l’humanité du 26 novembre 1968 ratifiées par le Rwanda en 1975 avec les dispositions du code pénal rwandais réprimant des infractions de droit commun alors en vigueur permettait de considérer que les faits poursuivis étaient bien incriminés à l’époque de leur commission et imprescriptibles. D’autre part, elle estimait qu’en tout état de cause, à supposer que la base légale à retenir fût la loi rwandaise du 30 août 1996 ainsi que celle du 19 juin 2004, incriminant les faits et y associant des peines, leur effet rétroactif était toléré par les seconds paragraphes de l’article 15 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et de l’article 7 de la Convention européenne des droits de l’homme. Ces deux décisions sont cassées sans renvoi par les autres arrêts du 26 février 2014 mais, cette fois, pour violation de la loi.
Selon la chambre criminelle, quand bien même les infractions de génocide et de crimes contre l’humanité auraient été prévues par des conventions internationales au moment des faits, « en l’absence, à cette même date, d’une définition précise et accessible de leurs éléments constitutifs ainsi que de la prévision d’une peine par la loi rwandaise, le principe de légalité criminelle […] fait obstacle à ce que lesdits faits soient considérés comme punis par la loi de l’État requérant, au sens de l’article 696-3, 1°, du code de procédure pénale ».
Pour procéder à l’appréciation de l’incrimination au sens de l’article 696-3, 1°, du code de procédure pénale, il convient de se placer, selon la chambre criminelle, « à la date de la commission des faits » et non à la date où est émise la demande d’extradition. Cette solution semble aller de soi au regard de la notion de légalité pénale qui commande que le principe de l’incrimination précède l’infraction. Mais c’est à une appréciation extrêmement stricte de ce principe de légalité que se livre la chambre criminelle. Selon l’article 7, § 1, de la Convention européenne des droits de l’homme, la répression peut se fonder sur une prévision du « droit national ou international ». La Cour de cassation admet implicitement cette possibilité d’une légalité internationale formelle. Mais elle s’engage, au regard de l’acception matérielle de ce principe, de laquelle découlent des exigences de clarté et de précision, à un examen substantiel de l’incrimination. Or, de ce point de vue, il est vrai que la Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide se contente de se référer à la notion de génocide sans la définir. En outre, rappelant que la légalité s’applique aussi aux peines, la chambre criminelle constate qu’aucune sanction n’était alors prévue. Ce n’est, en effet, que par une loi organique n° 33bis/2003 du 6 septembre 2003 qu’ont été introduites, au Rwanda, les peines applicables aux crimes de génocide et crimes contre l’humanité.
On regrettera que la chambre criminelle, visiblement résolue à s’opposer à l’extradition, n’ait même pas envisagé un appui sur la base légale rwandaise. Cette question méritait probablement d’être examinée au regard de la jurisprudence européenne (CEDH, gde ch., 19 sept. 2008, Korbely c. Hongrie, req. n° 9174/02, RSC 2009. 193, obs. J.-P. Marguénaud et D. Roets ; gde ch., 17 mai 2010, Kononov c. Lettonie, req. n° 36376/04, D. 2010. 2732, obs. G. Roujou de Boubée, T. Garé et S. Mirabail ; RSC 2010. 696, obs. D. Roets ). En effet, il semble en résulter que « la présence d’une norme internationale de comportement au moment T1 de la commission des faits suffit à fonder la répression dans l’ordre juridique interne à un moment T2 alors même que les normes nationales de comportement et de pénalité ont été adoptées entre les moments T1 et T2, après, donc, la commission des faits objets des poursuites » (D. Roets, L’extradition des personnes suspectées d’avoir participé au génocide des Tutsi du Rwanda, D. 2013. 2570 ). Reste que la prise en considération de la base légale interne n’aurait pas permis de contourner la difficulté liée à l’imprécision de l’incrimination internationale au moment des faits, qui semble constituer pour la chambre criminelle un obstacle insurmontable à l’extradition.
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