• Quelles vont être les conséquences géopolitiques des attentats de Paris ?

    ENTRETIEN avec François Heisbourg, président de l’International Institute for Strategic Studies.

    Pour le spécialiste de géopolitique, il ne faut pas laisser croire aux opinions publiques qu’on peut trouver des réponses simples et rapides à des conflits qui mêlent religion, territoire et dynasties. Pour lui, le Moyen-Orient est au début de sa guerre de Trente ans.

     La Croix : Quelles vont être les conséquences géopolitiques des attentats de Paris ? 

     François Heisbourg : La première répercussion touche notre territoire. Le Moyen-Orient vient à nous avec les réfugiés. Il y a un fort risque de durcissement de l’opinion française par rapport à la question des frontières, de l’avenir de Schengen, qui aura des conséquences pas seulement au Front national, mais du côté des Républicains.

    Ces attentats interviennent à un moment où la tension était déjà forte sur la question d’une recherche de solution européenne à la crise des réfugiés. C’est un très lourd facteur supplémentaire.

    Le président de la République a annoncé dès vendredi soir un renforcement des contrôles aux frontières… 

     F.H. : Oui. À court terme, il n’y a pas de problème. Ce contrôle est déjà acté avec la perspective de la conférence sur le climat, la Cop 21, dans deux semaines. On va monter de trois crans dans le durcissement des passages. Cette mesure d’exception n’implique cependant pas de changement de logique européenne.

    Mais nous avons des élections régionales en décembre et l’union sacrée face à ce genre d’événement ne dure qu’un temps. La recherche de solutions purement nationale face à la crise des réfugiés va se trouver renforcée face à une solution européenne. Il est trop tôt pour dire où s’arrêtera le curseur.

     Pour autant, les auteurs des attentats de vendredi semblent venir de l’intérieur du pays, pas de l’extérieur. Ils semblaient bien parler français, d’après les témoignages… 

     F. H. : Oui. Je serais surpris qu’il y ait beaucoup d’étrangers. Il faut quand même être du coin pour connaître le Bataclan. Pour autant il est normal qu’on cherche à renforcer le contrôle aux frontières pour éviter que des complices ne cherchent à quitter le territoire national, comme on l’avait fait après les attentats de janvier dernier.

    En décrétant l’état d’urgence comme première mesure, le président fait par ailleurs un geste de bonne gestion politique. Il démontre que l’arsenal juridique existant est bien fait. Il prend les devants par rapport aux demandes de lois d’exception qui ne manqueront pas de venir. Cela doit permettre d’éviter les excès qu’ont connus les États-Unis après le 11 septembre. C’est important pour la bonne santé de notre société.

     Et au Moyen-Orient ? 

     F. H. : La pression va être très forte pour faire passer une idée apparemment simple et de bon sens : « tous avec Bachar contre Daech ». On la sent déjà monter. C’est en effet une question légitime, mais la réponse est fausse. Ce faisant, on contraindrait les sunnites, qui représentent les trois quarts de la population syrienne soit à se joindre à l’organisation qui parvient à tirer les épingles du jeu – elle s’appelle Daech –, soit de quitter le pays et rejoindre les cohortes de réfugiés… Il faudra absolument résister à cela. Les Américains ont voulu faire simple en Irak, on a vu ce que ça a donné. Idem pour les Russes en Tchétchénie ou en Syrie, avec l’attentat du Sinaï.

    Le milieu moyen-oriental n’est pas simple à gérer. Dans cette région, les ennemis de mes ennemis ne sont pas mes amis. Et les amis de mes amis ne sont pas mes amis… Il ne peut pas y avoir de solution rapide. Même s’il est tentant de dire : « voyez, mes avions bombardent », il est plus efficace à terme de renforcer les moyens des services de renseignement et des troupes spéciales. Le pouvoir actuel a fait un travail très sérieux en la matière, avec notamment la création de la direction générale de la Sécurité intérieure (DGSI) en mai 2014.

    Mais la pression pour des résultats est très forte… 

     F. H. : Oui. Les politiques sont dans une extrême pression médiatique qui les pousse à montrer qu’ils font quelque chose. La télévision russe, actuellement, c’est Star wars… Mais il faut résister à cette idée. L’action de fond prend du temps, à un moment où les terroristes courent plus vite que nous. À l’automne 1940, Churchill n’a pas dit qu’il allait résoudre les problèmes en six mois. Il a promis du sang, des larmes et de la sueur.

     Que peut-on espérer de la réunion internationale de Vienne, qui réunit notamment ce week-end les États-Unis, la Russie, l’Iran et l’Arabie saoudite, pour trouver une solution au conflit syrien ? 

     F. H. : Il faut investir ce processus, car il n’y en a pas d’autre. Mais les divergences d’intérêt entre l’Arabie saoudite et l’Iran sont immenses. Elles seront peut-être réductibles un jour, mais je ne pense pas qu’on y soit arrivé.

     Que peut-on faire militairement ? 

     F. H. : Il faut des frappes ciblées avec des forces spéciales, des drones. Ce qu’on fait jeudi les Américains contre « Djihadi John », le bourreau britannique de Daech, est sans doute nécessaire. Mais ce n’est pas en rasant Raqqa, son quartier général, qu’on va résoudre le problème. Au contraire, on fabriquera des terroristes.

    En réalité, le problème pour le gouvernement est avant tout français. Les attentats n’ont pas nécessité une grande compétence militaire, mais organisationnelle. Pas sûr qu’un stage en Syrie ait été un passage obligé.

     Et la Syrie n’est pas le seul État concerné. 

     F. H. : Non en effet. À l’heure actuelle, quatre États de la région sont en train de tomber en morceaux : la Syrie, l’Irak, le Yemen et la Libye. Les logiques d’éclatement sont différentes, mais le point d’aboutissement est le même : la fin de l’ordre né des accords Sykes-Picot, qui ont organisé le partage du Proche-Orient à la fin de la première guerre mondiale – auxquels fait d’ailleurs référence Daech.

    On voit que c’est compliqué : au Yémen, les Occidentaux ont été totalement absents et c’est une catastrophe ; en Syrie, ils ont été très peu présents et c’est pareil ; idem en Libye, où ils ont aidé à la fin de Kadhafi, mais ont été absents sur le terrain ; et enfin, en Irak, où ils ont procédé à une occupation et une gestion directe, la situation est tout aussi catastrophique. Entre la non-intervention et l’intervention, il est très difficile de dire quelle est la moins mauvaise politique.

    Ne faut-il pas accepter le moindre mal ? 

     F. H. : Au Moyen-Orient à l’heure actuelle, je ne sais pas recommander une politique particulière. Cela doit rendre stratégiquement extrêmement modestes et prudents. Surtout vis-à-vis des opinions publiques : il ne faut pas leur laisser croire qu’en choisissant telle ou telle posture on réglera les problèmes.

    Il n’y a pas de solution simple à des conflits qui mêlent religion, territoire et dynasties, à l’image de la guerre de Trente ans, qui a déchiré l’Europe de 1618 à 1648. Le Moyen-Orient est au début de sa guerre de Trente ans.


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