• Un marché de l'armement en pleine mutation

    Le centre de gravité des affaires se déplace vers les pays émergents, l'Asie et le Moyen-Orient. Pour qui en doutait, le Salon de la défense et de la sécurité terrestres, Eurosatory, qui se tient tous les deux ans à Villepinte près de Paris, cette année du lundi 11 juin au vendredi 15 juin 2014, en sera l'illustration. Il s'agit de la plus importante manifestation mondiale du secteur, à laquelle participent 53 pays.

    "En dehors des Etats-Unis, qui représentent plus de la moitié du marché, nous sommes face à trois mondes", explique Christian Mons, président du Groupement des industries françaises de défense terrestre (Gicat) et de Panhard. "L'ancien : la vieille Europe, dont les dépenses de défense sont en baisse, le nouveau monde avec la Russie, la Chine et l'Inde dont les budgets croissent de plus de 10 % par an, et entre les deux les pays émergents, dont les dépenses militaires augmentent de plus de 5 %.

    Avec la crise, cet écart n'ira qu'en s'accroissant. Dans ce contexte, les industriels de l'armement européen et américain doivent plus que jamais trouver d'autres débouchés en dehors de leur pays d'origine. Conséquence : tous se retrouvent en compétition sur les mêmes marchés où s'invitent aussi de nouveaux concurrents très actifs venus de Chine ou de Corée du Sud.

    Et ce alors que les pays clients sont devenus plus exigeants. Ils lient leurs achats à des transferts de technologies qui doivent permettre de contribuer au développement d'une industrie locale.

    "Nous observons cette évolution depuis près de trois ans ; le mouvement s'accélère et se structure", relève Philippe Petitcolin, PDG de Sagem, le pôle de défense du groupe Safran. "Nous n'avons pas le choix, nous devons nous adapter. Ainsi, au Brésil, nous sommes en train d'acheter une société locale d'optronique [activité concernant la vision nocturne] pour participer aux appels d'offres. En cas de succès, elle fabriquera les jumelles pour les militaires brésiliens." Dans la même logique, en Algérie, Sagem s'apprête à ouvrir un bureau, alors que le groupe travaillait jusqu'alors avec des agents locaux pour s'y développer.

    "Nous ne cédons pas notre technologie car nous conservons en France notre recherche et développement", précise Antoine Bouvier, PDG du français MBDA, deuxième missilier mondial, en évoquant la négociation en cours avec les industriels indiens pour leur donner 30 % de la fabrication des 500 missiles MICA destinés aux Mirage 2000.

    "Il ne s'agit pas de réaliser une simple vente, nous avons une approche de long terme", précise M. Bouvier, indiquant que ces négociations s'inscrivent "dans le cadre de partenariats stratégiques noués de pays à pays, comme nous en avons contractés avec le Brésil ou les Emirats, et dans lesquels l'industrie n'est qu'une composante".

    Pour rester dans la course, les industriels de défense doivent compter sur leur pays d'origine, car bien souvent les matériels qu'ils vendent ne peuvent l'être que s'ils sont déjà en service.

    D'où l'importance des discussions qui vont débuter autour du Livre blanc du gouvernement, afin de définir la stratégie de défense de la France pour la période 2014-2019, les nouvelles menaces, les missions des forces armées et les priorités du pays, seul ou avec d'autres. "Une fois connus les besoins, nous nous adapterons pour y répondre et proposer de nouveaux équipements", explique le patron de MBDA.

    L'"ÉLÉPHANT BLANC"

    "Si nous voulons garder notre rang et notre avance technologique, il est indispensable que l'Etat augmente le montant de son financement dans la recherche en amont", prévient M. Mons, car cela permet de lancer des projets à long terme que les industriels ne pourraient envisager seuls.

    Si la compétition est vive, chacun rêve du fameux "éléphant blanc", ce contrat d'importance qui permet en une fois de garantir une part importante de son chiffre d'affaires. "Nous en avons repéré plusieurs et la Sagem n'exclut pas d'en décrocher un", espère M. Petitcolin. Cela pourrait concerner aussi bien le marché militaire que celui de la sécurité publique et privée, qui se développe depuis plusieurs années en parallèle et permet de compenser en partie la baisse du militaire.

    "Un continuum défense-sécurité est en train d'émerger", note M. Mons, insistant sur la convergence des équipements. "Alors que les véhicules militaires étaient très typés "combat", ils se sont plus banalisés et s'adaptent aux besoins de sécurité civile."

    "Il ne s'agit pas que de la sécurité d'Etat, mais aussi de la sécurité privée", précise Patrick Colas des Francs, commissaire général du salon Eurosatory, soulignant que "des entreprises sécurisent les plates-formes pétrolières, le Stade de France, les chaînes d'hôtels ou les clubs de vacances".

    Le chiffre d'affaires de ce marché mondial est estimé à 50 milliards d'euros, dont quelques centaines de millions pour la France. Les perspectives sont donc prometteuses, même si les budgets des équipements de sécurité civile au niveau mondial sont loin d'avoir la taille de ceux de la défense, le rapport serait de 1 à 10. Difficile cependant d'en savoir plus sur les clients ou les pays intéressés, car ils seraient encore plus soucieux de discrétion que les militaires...

    Dominique Gallois, Le Monde


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