• Afrique: Le Drian face au défi de la piraterie

    Après le redéploiement du dispositif militaire français dans l'aire sahélienne, cap sur le Congo-Brazzaville et la lutte contre la flibuste du 3e millénaire, en compagnie du ministre de la Défense Jean-Yves Le Drian. 

    Attention, peinture fraîche. Ce lundi 10 février, à l'heure d'accueillir le ministre français de la Défense Jean-Yves Le Drian, le siège du "Centre régional de la sécurité maritime dans l'Afrique centrale", ou Cresmac, logé au coeur de Pointe-Noire, capitale économique et tête de pont pétrolière du Congo-Brazzaville, fleure encore le neuf.  

    Et, pour tout dire, sonne un peu creux. A ce stade, la "Salle des Opérations" n'a d'autre source d'information, s'agissant des mouvements de navires dans le Golfe de Guinée, que le site internet marinetraffic.com. Quant au système de communication, pour le moins embryonnaire, il repose sur une radio VHF à la fiabilité aléatoire. Il n'empêche : s'il n'a pour l'heure que la beauté des promesses, ce Cresmac, fruit d'un engagement souscrit par les chefs d'Etat de la zone en... 2008, et qui devrait être inauguré formellement le 10 mars prochain, a au moins le mérite d'exister.  

    Sa vocation? Mutualiser les renseignements et les moyens de neuf nations d'Afrique centrale et occidentale exposées aux périls de la piraterie maritime et du trafic de drogue. Il doit au demeurant sa sortie des limbes à la volonté du président Congolais et régional de l'étape Denis Sassou Nguesso. "Lui a pris les devants, commente un initié. Il a tout payé et tiendra son cap, même si l'un ou l'autre de ses homologues rechigne le moment venu à partager l'effort et à verser son écot". 

    Essor inquiétant de la piraterie sur la façade ouest

    Le danger, lui, n'a rien de virtuel. Priorité affichée en décembre dernier lors du Sommet de l'Elysée, la sûreté maritime figurera aussi à l'agenda du Forum Europe-Afrique du 4 avril prochain. Si les ravages de la flibuste moderne tendent à décliner dans le Golfe d'Aden, donc sur le flanc est du continent noir, entre Corne de l'Afrique et océan Indien, il connaît sur la façade ouest un essor inquiétant. 

    D'autant que les eaux qui baignent l'Angola, le Congo-Brazzaville ou le Nigeria, paradis de l'off-shore profond, des plates-formes et des barges ancrées, demeurent un eldorado pour les "majors" de l'or noir, tels le Français Total et l'Italien ENI, désormais titillés par les opérateurs chinois. Ainsi, le quart des approvisionnements en pétrole de l'Hexagone provient de ce secteur. "L'aggravation, patente, date de 2010, souligne un officier français familier de tels enjeux. L'an dernier, le Bureau maritime international a ainsi enregistré 154 attaques contre des navires de commerce." Bilan au demeurant très en-deçà de la réalité : craignant de voir flamber leurs primes d'assurance, les armateurs ne déclarent grosso modo que le tiers des assauts subis.  

    Plus des quatre-cinquièmes des actes délictueux sont commis au large du Nigeria, par ailleurs deuxième producteur d'hydrocarbures du continent. Logique : ce colosse aux pieds d'argile fournit le gros de la troupe des réseaux mafieux de pirates ; et ses amiraux, souvent mouillés dans le trafic des cargaisons dérobées, ne brille pas par leur zèle dès lors qu'il s'agit de lutter contre le fléau. Jaloux de sa souveraineté nationale, le pays le plus peuplé d'Afrique ne manifeste pas davantage de volontarisme côté coopération. Lorsque, voilà peu, le pétrolier français Adour fut "cravaté" à l'aplomb des côtes du Bénin, puis acheminé dans les eaux territoriales nigérianes, Abuja a refusé le "droit de poursuite" sollicité par la France, dont les commandos de Marine se tenaient prêts à agir ; d'autant que ce détournement était assorti du kidnapping de six compatriotes.  

    Attaque, rapatriement, désoutage

    Prise d'otages qui connaîtra d'ailleurs un heureux dénouement négocié. L'épisode évoqué ici reflète assez bien le modus operandi des assaillants : quitte à prendre au préalable le contrôle d'un "bateau-mère", ils attaquent un tanker, le "rapatrient" dans les eaux du Nigeria et procèdent à un ou plusieurs "désoutages". En clair, ils pompent le brut stocké dans les cuves et le transfèrent à l'aide de leur propre flotte sur la terre ferme, où il sera négocié en gros ou en détail. Tel fut, le 18 janvier, le sort réservé au MT Kerala, navire grec battant pavillon libérien. 

    Une autre calamité justifierait l'instauration d'une authentique coopération : le trafic de la cocaïne venue d'Amérique latine, dont le Golfe de Guinée constitue le sas d'entrée vers les marchés européens. "De 20 à 40 tonnes de poudre blanche transitent par-là, avance un expert. Valeur marchande : 3 milliards de dollars." Soit près de 2,5 milliards d'euros. La Gambie et la Guinée-Bissau figurent certes en tête des "narco-Etats" du cru, mais la porosité des façades côtières affecte d'autres pays, dont la Guinée-Conakry, le Bénin, le Togo, le Sénégal ou le Cap-Vert.  

    "Si le Congo-Brazza et ses voisins ont pu se croire un temps à l'abri, la vigilance est de mise, confiera Jean-Yves Le Drian à une délégation d'hommes d'affaires français réunis à Pointe-Noire. Il faut aider des Etats souverains menacés à se doter des outils nécessaires. Les bâtiments idoines, bien sûr, mais pas seulement. Veillons à ne négliger ni la formation des hommes, ni le renforcement des arsenaux juridiques." Et d'ajouter, avec un solide bon sens breton : "Le Cresmac, c'est bien, à condition que ça marche."  

    Or, pour échapper au syndrome de la coquille vide et parvenir à bon port, l'hypothétique flottille sécuritaire panafricaine devra contourner maints récifs. Parmi les écueils chroniques, les rivalités quant au leadership régional, la réticence à concéder à une entité supranationale le moindre fragment de souveraineté et le peu d'empressement à mettre la main au portefeuille. Déjà, le choix de la ville appelée à accueillir le Centre de coordination censé harmoniser les initiatives de la Communauté économique des Etats d'Afrique centrale (Ceeac) et celles de la Cédéao, alter ego ouest-africaine concernée au premier chef, a donné lieu à une empoignade homérique, remportée à l'arrachée par Douala (Cameroun).  

    L'Europe navigue en ordre dispersé

    "A vrai dire, on est encore dans l'incantation", concède un témoin privilégié. Si le Congo a acquis en 2011 quatre patrouilleurs de facture chinoise, ceux-ci n'appareillent que rarement. "Manque de volonté, de formation et de carburant, commente un expert militaire français. De plus, faute d'équipement adéquat, la maintenance se fait dans le port gabonais de Port-Gentil..." Si deux de ces fleurons de la marine de Sassou ont vogué le 10 février aux abords de la barge Alima de Total, ancrée à 80 km environ de la côte, c'est, avoue un officier congolais, "afin de sécuriser la visite in situ du ministre Le Drian".  

    Reste que les embûches ne sont pas toutes, il s'en faut, africaines de naissance. Si "unie" soit-elle, l'Europe navigue elle aussi en ordre dispersé. Les initiatives de ses membres étant avant tout dictées par des impératifs nationaux, qu'il s'agisse de protéger les intérêts pétroliers ou portuaires maison, de promouvoir un matériel militaire, bâtiment ou radar, ou d'imposer une norme juridico-administrative. "Pas de patrouilles coordonnées, soupire notre expert. Mais des mouvements browniens assez peu cohérents." Et la France dans tout ça ? "Elle est présente 365 jours par an depuis 1990" insiste Le Drian. Allusion à l'année de lancement du dispositif Corymbe, qui en est à l'instant T à sa 123e mission. Peinture fraîche, mais vieux défi.


  • Commentaires

    Aucun commentaire pour le moment

    Suivre le flux RSS des commentaires


    Ajouter un commentaire

    Nom / Pseudo :

    E-mail (facultatif) :

    Site Web (facultatif) :

    Commentaire :