•  

    L'Autriche, un des premiers pays de l'Union européenne pour l'accueil de migrants, souhaite que l'Union européenne coupe si nécessaire ses subventions aux pays en développement si ceux-ci n'acceptent pas de reprendre leurs ressortissants déboutés du droit d'asile. 

    "En tant qu'Europe, nous devons enfin exercer une pression si nous souhaitons que la politique de retour fonctionne", a déclaré le ministre autrichien des Affaires étrangères Sebastian Kurz (conservateur) à la radio publique Ö1 jeudi.

    Le ministre a notamment cité le Pakistan, le Maroc et la Tunisie comme pays susceptibles d'être concernés.

    "En ce moment, (l'UE verse) par exemple 480 millions d'euros chaque année au Maroc, 414 millions à la Tunisie, et malgré cela ces pays refusent de reprendre les déboutés du droit d'asile", a-t-il souligné. L'UE débourse au total 11 milliards d'euros par an d'aide au développement, a-t-il rappelé.

    M. Kurz a souhaité que cette proposition, également évoquée par le vice-chancelier allemand Sigmar Gabriel, soit examinée lors du sommet européen prévu les 18 et 19 février à Bruxelles.

    Confrontés à un afflux record de migrants, plusieurs pays européens ont annoncé vouloir expulser massivement les déboutés: 80.000 en Suède, 20.000 en Finlande et au moins 12.500 par an en Autriche. Berlin et Vienne envisagent en outre de classer la Tunisie, le Maroc et l'Algérie comme pays "sûrs" afin de faciliter les expulsions.

    L'Autriche plaide pour des mesures européennes plus énergiques pour diminuer le flux de migrants. Son ministre de la Défense social-démocrate (SPÖ) Hans Peter Doskozil a jugé jeudi la commission européenne et l'agence européenne des frontières Frontex "beaucoup trop bureaucratiques".

    Il défend l'envoi de militaires à la frontière extérieure de l'UE, en Grèce: "nous devons discuter de la façon de mettre en place une mission européenne civile et militaire" ayant vocation à surveiller les entrées dans l'UE, a déclaré le ministre au journal autrichien Kurier.

    Plus d'un million de migrants sont arrivés en Europe depuis un an, principalement des ressortissants de pays en conflit comme la Syrie, l'Irak et l'Afghanistan, mais aussi de pays davantage épargnés, comme le Pakistan, l'Algérie, la Tunisie et le Maroc.

    L'Autriche, un pays de 8,7 millions d'habitants, a accueilli à elle seule 90.000 demandeurs d'asile en 2015, soit l'équivalent de plus de 1% de sa population.


    votre commentaire
  • Le centre de rétention de l'île Christmas sous contrôle

    Après un encerclement, la police australienne a repris le contrôle du camp de rétention de migrants sur l'île Christmas qui a été, dimanche 8 novembre 2015, le théâtre d'une émeute.

    Les autorités australiennes ont repris mardi par la force le contrôle d'un centre de rétention pour demandeurs d'asile situé sur une île reculée de l'océan Indien, où une émeute avait débuté dimanche après le décès d'un détenu. Des renforts de la police australienne avaient été envoyés sur l'île Christmas - territoire australien situé à 2.600 kilomètres au large de Perth (côte nord-ouest de l'Australie) - pour faire face à des prisonniers armés de machettes et de cocktails Molotov selon le témoignage d'un détenu.

    Le centre de rétention de Christmas abrite 203 hommes: des demandeurs d'asile et des ressortissants étrangers dont bon nombre de Néo-Zélandais, condamnés dans des affaires judiciaires et qui sont en cours d'extradition.

    «Le ministère confirme que tous les secteurs du centre de détention de l'île Christmas sont sous le contrôle total des prestataires de service et du personnel de l'Immigration», a indiqué le ministère de l'Immigration dans un communiqué.

    Il a ajouté que cinq détenus recevaient des soins sans que leurs jours ne soient en danger, sans préciser s'ils avaient été blessés par les forces de sécurité.

    Une mort inexpliquée

    Le ministère a assuré que cette reprise de contrôle avait essentiellement été faite au travers de la négociation mais que la force avait été employée contre «un noyau dur de détenus qui avaient construit des barricades et opposaient une résistance active». Aucun détenu ne manque à l'appel, selon le ministère.

    L'émeute avait éclaté après la mort inexpliquée d'un demandeur d'asile évadé de ce centre, identifié par les médias comme un Kurde d'Iran s'appelant Fazel Chegeni.

    De nombreux prisonniers se sont plaints des conditions de détention sur Christmas.

    Un détenu, le Néo-Zélandais Tuk Whakatutu, avait raconté plus tôt par téléphone à Radio New Zealand qu'une vingtaine de détenus armés de «cocktails Molotov, (...) machettes, (...) tronçonneuses, (...) barres de fer» étaient repliés dans l'un des complexes du camp et encerclés par les policiers anti-émeute.

    Tuk Whakatutu a encore dit que les forces de l'ordre, dont les effectifs ont été renforcés par deux avions d'agents venus du continent, avaient prévenu les détenus qu'elles feraient feu en cas de résistance armée.

    L'Australie mène une politique extrêmement dure vis-à-vis des demandeurs d'asile, plaçant ceux qui parviennent à gagner ses rives dans des camps sur l'île de Manus, en Papouasie-Nouvelle Guinée, sur l'île de Nauru, dans le Pacifique et sur l'île Christmas.

    Depuis fin 2014, Christmas accueille aussi des étrangers condamnés dans des affaires judiciaires et dont les titres de séjour ont été annulés.

    Cette politique est dénoncée par les organisations de défense des droits de l'Homme en raison des conditions de rétention sur ces îles, du manque de perspective pour les demandeurs d'asile ou encore de l'opacité dans laquelle ces camps sont gérés.

    Un Iranien de 23 ans, Reza Barati, avait été battu à mort lors d'une émeute en février 2014 à Manus qui avait fait 69 blessés. Le Sénat australien avait accusé le gouvernement d'avoir échoué à protéger les demandeurs d'asile.


    votre commentaire
  • Iraq : l'ONU dénonce les châtiments cruels des tribunaux de l'État islamique

    20 janvier 2015 – Les « tribunaux de la charia » instaurés par l'État islamique d'Iraq et du Levant (EIIL) sur le territoire iraquien sous son contrôle infligent des châtiments cruels et inhumains aux civils accusés de violer la loi islamique – selon l'interprétation extrémiste qu'en fait le groupe terroriste – ou soupçonnés de trahison, a déploré mardi le Haut-Commissariat des Nations Unies aux droits de l'homme (HCDH).

    « La semaine dernière, l'EIIL a mis en ligne des photos sur internet montrant deux hommes 'crucifiés' après avoir été accusés d'actes de banditisme. Les hommes ont été suspendus par les bras, avant d'être abattus », s'est insurgée une porte-parole du HCDH, Ravina Shamdasani, lors d'une conférence de presse à Genève.

    Mme Shamdasani a également mentionné la diffusion sur le web de photos illustrant la lapidation à mort d'une femme, officiellement condamnée pour adultère, et l'assassinat impitoyable de deux hommes, jetés du haut d'un immeuble après avoir été accusés d'homosexualité par « l'un de ces soi-disant tribunaux » à Mossoul. Ces terribles actes, a affirmé la porte-parole, portent tous la marque « du mépris monstrueux de la vie humaine qui caractérise le règne de la terreur de l'EIIL ».

    « Nous disposons de nombreux autres rapports faisant état de femmes exécutées par l'EIIL à Mossoul et dans d'autres régions sous le contrôle du groupe, souvent immédiatement après les peines prononcées par ses prétendus 'tribunaux de la charia' », a déploré Mme Shamdasani, ajoutant que les femmes éduquées et exerçant une activité professionnelle, notamment les femmes qui se sont portées candidates à des élections de la fonction publique, semblent être particulièrement menacées. « En à peine deux semaines depuis le début de l'année, des rapports indiquent que trois avocates ont déjà été exécutées », a précisé la porte-parole.

    D'autres civils soupçonnés d'avoir violé les règles établies par l'EIIL ou de soutenir le gouvernement de l'Irak, comptent également parmi les victimes, a poursuivi Mme Shamdasani, citant notamment les exécutions récentes de quatre médecins dans le centre de Mossoul, prétendument après qu'ils avaient refusé de traiter des combattants de l'EIIL, et de 15 civils appartenant à une tribu sunnite dans les environs de Falloujah, en raison de leur coopération présumée avec les forces de sécurité irakiennes.

    « Nous continuons à documenter les violations des droits humains actuellement perpétrées en Irak et nous présenterons un rapport au Conseil des droits de l'homme en mars prochain », a déclaré en conclusion la porte-parole du HCDH.


    votre commentaire
  • Le «Pegida» fait grossir la vague anti-islam

    Le succès grandissant des «manifestations du lundi» contre l’islam et les réfugiés inquiète de plus en plus les autorités.

    Le cortège grossit chaque lundi et prend une ampleur qui commence à inquiéter les autorités. Les «manifs du lundi», dont les initiateurs revendiquent l’héritage des mouvements citoyens qui ont fait tomber le mur de Berlin, descendront de nouveau dans la rue aujourd’hui aux cris de «nous sommes le peuple» comme il y a vingt-cinq ans dans l’ex-RDA.

    Mais le mouvement «Pegida», qui est l’abréviation en allemand de Patriotes européens contre l’islamisation de l’Occident, n’a rien à voir avec la révolution pacifique de 1989. Les revendications sont clairement dirigées contre l’islam et les réfugiés, et les cortèges infiltrés par les néonazis.

    La manifestation a atteint un record de 10 000 participants la semaine dernière à Dresde, la capitale de Saxe, où elle a démarré mi-octobre avec 200 personnes. Depuis quelques semaines, le mouvement se propage dans d’autres villes d’Allemagne. A Berlin, un cortège défile chaque lundi dans le quartier de Marzahn, fief de l’extrême droite. A Düsseldorf, les forces de l’ordre ont déployé la semaine passée plus de 1300 policiers pour éviter les affrontements avec les contre-manifestants emmenés par les communautés juive et musulmane, les universités ou les mouvements antinazis.

    Le sujet a été un thème central vendredi lors de la conférence des ministres de l’Intérieur des Länder (IMK). «Le climat politique s’est durci dans notre pays», a constaté Thomas de Maizière, le ministre fédéral de l’Intérieur (CDU), alors qu’un attentat avait été perpétré la veille contre un centre de réfugiés en construction en Bavière. «Nous devons faire tomber le masque de ces agitateurs qui profitent de la peur des gens sur le dos des quatre millions de musulmans qui vivent pacifiquement», a martelé Ralf Jäger, ministre de l’Intérieur de Rhénanie-du-Nord-Westphalie et président de l’IMK.

    Le parti anti-euro AfD (Alternative pour l’Allemagne) tente notamment de récupérer ce mouvement xénophobe dont on a encore du mal à cerner les contours et les leaders. Même s’ils ont pris leurs distances avec la violence, les dirigeants ont manifesté de la «compréhension» pour ce mouvement anti-islamique.

    Menace politique

    Cette formation politique dirigée par l’universitaire Bernd Lucke bouleverse l’échiquier politique allemand depuis deux ans. L’AfD, qui a raté son entrée à l’Assemblée fédérale (Bundestag) d’un cheveu en septembre 2013, a remporté plusieurs sièges de députés dans les régions. Cette formation populiste constitue désormais une réelle menace politique pour le parti chrétien-démocrate (CDU) qui a laissé un vide sur sa droite depuis le recentrage opéré par Angela Merkel.


    votre commentaire
  •  

    Le pape appelle le Conseil de l’Europe à « poursuivre l’objectif ambitieux de la paix »

    Devant une institution fondée au lendemain de la seconde guerre mondiale pour « reconstruire l’Europe », le pape François est venu lancer un appel à la paix.

    Une paix qui « n’est pas la simple absence de guerres, de conflits et de tensions », mais aussi, « dans une vision chrétienne », la recherche du bien commun « dans la vérité et l’amour ».

    « La paix (est) un bien à conquérir continuellement, et elle (exige) une vigilance absolue ». Après avoir quitté le Parlement européen, le pape François s’est dirigé vers le Conseil de l’Europe qui lui fait face à Strasbourg. Devant cette institution fondée le 5 mai 1949 après « le plus cruel et le plus déchirant conflit dont ces terres se souviennent et dont les divisions se sont poursuivies pendant de longues années », le pape François a choisi de centrer son discours sur la paix.

    Une paix qui, avec « la liberté et la dignité humaine », constitue la « clé de voûte » du projet des Pères fondateurs : « reconstruire l’Europe dans un esprit de service mutuel ». Devant le Conseil de l’Europe, qui réunit non pas 28 pays comme l’Union européenne, mais 47 – dont la Russie –, le choix du pape n’est pas anodin.

    « Malheureusement, la paix est encore trop souvent blessée », a-t-il d’ailleurs reconnu. « Elle l’est dans de nombreuses parties du monde, où font rage des conflits de diverses sortes. Elle l’est aussi ici en Europe, où des tensions ne cessent pas », a-t-il noté, sans citer explicitement l’Ukraine. Elle est aussi « mise à l’épreuve par d’autres formes de conflit, tels que le terrorisme religieux et international », mais aussi le trafic d’armes, que l’Église considère comme « une plaie extrêmement grave de l’humanité », le trafic d’êtres humains, « le nouvel esclavage de notre temps ».

    Un peuplier aux branches agitées par le vent et aux racines profondes

    « La paix n’est pas la simple absence de guerres, de conflits et de tensions », a-t-il également souligné, rappelant que dans la vision chrétienne, elle est, en même temps, « don de Dieu et fruit de l’action libre et raisonnable de l’homme qui entend poursuivre le bien commun dans la vérité et dans l’amour ».

    « Comment donc poursuivre l’objectif ambitieux de la paix », aujourd’hui, au XXIe siècle ? Telle est la question qu’ont à se poser les responsables du Conseil de l’Europe, et à laquelle le pape François souhaite apporter la contribution de l’Église catholique.

    « Le chemin » choisi par le Conseil de l’Europe étant « avant tout celui de la promotion des droits humains, auxquels est lié le développement de la démocratie et de l’État de droit » – « l’une des plus grandes contributions que l’Europe a offerte et offre encore au monde entier » – c’est ce thème que le pape explore dans son discours.

    Pour cela, et au lieu de la fresque de Raphaël évoquée devant le Parlement européen, il utilise une autre image pour appuyer son propos : celle d’un poète italien du XXe  siècle, Clemente Rebora, qui, « dans l’une de ses poésies, décrit un peuplier, avec ses branches élevées vers le ciel et agitées par le vent, son tronc solide et ferme, ainsi que ses racines profondes qui s’enfoncent dans la terre ».

    Europe, où est ta vigueur ?

    « En un certain sens, nous pouvons penser à l’Europe à la lumière de cette image », analyse le pape. « Au cours de son histoire, elle a toujours tendu vers le haut, vers des objectifs nouveaux et ambitieux, animée par un désir insatiable de connaissance, de développement, de progrès, de paix et d’unité. Mais l’élévation de la pensée, de la culture, des découvertes scientifiques est possible seulement à cause de la solidité du tronc et de la profondeur des racines qui l’alimentent ».

    Filant cette image, le pape met en garde le Conseil de l’Europe – comme il l’a fait plus tôt devant le Parlement – contre une fausse conception des droits de l’homme, qui, « privée de ses racines fécondes », tombe dans l’individualisme, « la globalisation de l’indifférence », voire « le culte de l’opulence ». Submergée de biens matériels, dont elle ne sait « plus quoi faire », « un peu fatiguée et pessimiste », l’Europe actuelle court le risque de se sentir « assiégée par les nouveautés provenant des autres continents ».

    « À l’Europe, nous pouvons demander : où est ta vigueur ? Où est cette tension vers un idéal qui a animé ton histoire et l’a rendue grande ? Où est ton esprit d’entreprise et de curiosité ? Où est ta soif de vérité, que jusqu’à présent tu as communiquée au monde avec passion ? », interpelle le pape.

    Transversalité

    Pour répondre à ces questions fondamentales, le pape François propose à son tour un chemin aux Européens : opter pour la « multipolarité » (et non plus la bipolarité), mais aussi pour la « transversalité », et donc par exemple davantage « recourir au dialogue, même intergénérationnel ». « Une Europe qui dialogue seulement entre ses groupes d’appartenance fermés reste à mi-chemin ; on a besoin de l’esprit de jeunesse qui accepte le défi de la transversalité », estime le pape, qui accueille ainsi « positivement la volonté du Conseil de l’Europe d’investir dans le dialogue interculturel, y compris dans sa dimension religieuse ».

    C’est d’ailleurs dans cette logique, souligne le pape, qu’il faut comprendre l’apport que le christianisme peut « fournir aujourd’hui au développement culturel et social européen dans le cadre d’une relation correcte entre religion et société » (le terme est souligné par lui). « Réflexion éthique sur les droits humains », « protection de la vie humaine », pauvreté, « accueil des migrants », chômage surtout des jeunes, ou encore protection de l’environnement : sur tous ces thèmes qui requièrent « une étude et un engagement commun », l’Église catholique peut apporter sa contribution.

    « Je souhaite vivement, a conclu le pape, que s’instaure une nouvelle collaboration sociale et économique, affranchie de conditionnements idéologiques, qui sache faire face au monde globalisé ».

    Discours du pape François au Conseil de l'Europe le 25 novembre 2014 (texte intégral).

     

    Monsieur le Secrétaire Général,

    Madame la Présidente,

    Excellences, Mesdames et Messieurs,

    Je suis heureux de pouvoir prendre la parole en cette Assemblée qui voit réunie une représentation significative de l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, les Représentants des pays membres, les Juges de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, et aussi les diverses Institutions qui composent le Conseil de l’Europe. De fait, presque toute l’Europe est présente en cette enceinte, avec ses peuples, ses langues, ses expressions culturelles et religieuses, qui constituent la richesse de ce continent. Je suis particulièrement reconnaissant au Secrétaire général du Conseil de l’Europe, Monsieur Thorbjørn Jagland, pour la courtoise invitation et pour les aimables paroles de bienvenue qu’il m’a adressées. Je salue Madame Anne Brasseur, Présidente de l’Assemblée parlementaire, ainsi que les représentants des diverses institutions qui composent le Conseil de l’Europe. Je vous remercie tous de tout cœur pour l’engagement que vous prodiguez et pour la contribution que vous offrez à la paix en Europe, par la promotion de la démocratie, des droits humains et de l’État de droit.

    Paix, liberté et dignité humaine

    Dans l’intention de ses Pères fondateurs, le Conseil de l’Europe, qui célèbre cette année son 65e anniversaire, répondait à une tension vers un idéal d’unité qui, à plusieurs reprises, a animé la vie du continent depuis l’antiquité. Cependant, au cours des siècles, des poussées particularistes ont souvent prévalu, caractérisées par la succession de diverses volontés hégémoniques. Qu’il suffise de penser que dix ans avant ce 5 mai 1949, où a été signé à Londres le Traité qui a institué le Conseil de l’Europe, commençait le plus cruel et le plus déchirant conflit dont ces terres se souviennent et dont les divisions se sont poursuivies pendant de longues années, alors que ce qu’on a appelé le rideau de fer coupait en deux le continent de la Mer Baltique au Golfe de Trieste. Le projet des Pères fondateurs était de reconstruire l’Europe dans un esprit de service mutuel, qui aujourd’hui encore, dans un monde plus enclin à revendiquer qu’à servir, doit constituer la clé de voûte de la mission du Conseil de l’Europe, en faveur de la paix, de la liberté et de la dignité humaine.

    D’autre part, la voie privilégiée vers la paix – pour éviter que ce qui est arrivé durant les deux guerres mondiales du siècle dernier ne se répète –, c’est de reconnaître dans l’autre non un ennemi à combattre, mais un frère à accueillir. Il s’agit d’un processus continu, qu’on ne peut jamais considérer pleinement achevé. C’est justement l’intuition qu’ont eue les Pères fondateurs, qui ont compris que la paix était un bien à conquérir continuellement, et qu’elle exigeait une vigilance absolue. Ils étaient conscients que les guerres s’alimentent dans le but de prendre possession des espaces, de figer les processus et de chercher à les arrêter ; par contre, ils recherchaient la paix qui peut s’obtenir seulement par l’attitude constante d’initier des processus et de les poursuivre.

    Un chemin constant d’humanisation est nécessaire

    De cette manière, ils affirmaient la volonté de cheminer en mûrissant dans le temps, parce que c’est justement le temps qui gouverne les espaces, les éclaire et les transforme en une chaîne continue de croissance, sans voies de retour. C’est pourquoi, construire la paix demande de privilégier les actions qui génèrent de nouveaux dynamismes dans la société et impliquent d’autres personnes et d’autres groupes qui les développeront, jusqu’à ce qu’ils portent du fruit dans des événements historiques importants [1]   .

    Pour cela, ils ont créé cet Organisme stable. Le bienheureux Paul VI, quelques années après, eut à rappeler que « les institutions mêmes qui, sur le plan juridique et dans le concert des nations, ont pour rôle – et ont le mérite – de proclamer et de conserver la paix, n’atteignent le but prévu que si elles sont continuellement à l’œuvre, si elles savent à chaque instant engendrer la paix, faire la paix » [2] . Un chemin constant d’humanisation est nécessaire, de sorte qu’« il ne suffit pas de contenir les guerres, de suspendre les luttes, (…) une paix imposée ne suffit pas, non plus qu’une paix utilitaire et provisoire ; il faut tendre vers une paix aimée, libre, fraternelle, et donc fondée sur la réconciliation des esprits » [3] . C’est-à-dire poursuivre les processus sans anxiété mais certainement avec des convictions claires et avec ténacité.

    Pour conquérir le bien de la paix, il faut avant tout y éduquer, en éloignant une culture du conflit qui vise à la peur de l’autre, à la marginalisation de celui qui pense ou vit de manière différente. Il est vrai que le conflit ne peut être ignoré ou dissimulé, il doit être assumé. Mais si nous y restons bloqués, nous perdons la perspective, les horizons se limitent et la réalité elle-même demeure fragmentée. Quand nous nous arrêtons à la situation conflictuelle, nous perdons le sens de l’unité profonde de la réalité [4] , nous arrêtons l’histoire et nous tombons dans les usures internes des contradictions stériles.

    Le terrorisme religieux et international

    Malheureusement, la paix est encore trop souvent blessée. Elle l’est dans de nombreuses parties du monde, où font rage des conflits de diverses sortes. Elle l’est aussi ici en Europe, où des tensions ne cessent pas. Que de douleur et combien de morts encore sur ce continent, qui aspire à la paix, mais pourtant retombe facilement dans les tentations d’autrefois ! Pour cela, l’œuvre du Conseil de l’Europe dans la recherche d’une solution politique aux crises en cours est importante et encourageante.

    Mais la paix est aussi mise à l’épreuve par d’autres formes de conflit, tels que le terrorisme religieux et international, qui nourrit un profond mépris pour la vie humaine et fauche sans discernement des victimes innocentes. Ce phénomène est malheureusement très souvent alimenté par un trafic d’armes en toute tranquillité. L’Église considère que « la course aux armements est une plaie extrêmement grave de l’humanité et lèse les pauvres d’une manière intolérable » [5] . La paix est violée aussi par le trafic des êtres humains, qui est le nouvel esclavage de notre temps et qui transforme les personnes en marchandises d’échange, privant les victimes de toute dignité. Assez souvent, nous notons également comment ces phénomènes sont liés entre eux. Le Conseil de l’Europe, à travers ses Commissions et ses Groupes d’Experts, exerce un rôle important et significatif dans le combat contre ces formes d’inhumanité.

    Cependant, la paix n’est pas la simple absence de guerres, de conflits et de tensions. Dans la vision chrétienne, elle est, en même temps, don de Dieu et fruit de l’action libre et raisonnable de l’homme qui entend poursuivre le bien commun dans la vérité et dans l’amour. « Cet ordre rationnel et moral s’appuie précisément sur la décision de la conscience des êtres humains à la recherche de l’harmonie dans leurs rapports réciproques, dans le respect de la justice pour tous » [6] .

    Comment donc poursuivre l’objectif ambitieux de la paix ?

    Le chemin choisi par le Conseil de l’Europe est avant tout celui de la promotion des droits humains, auxquels est lié le développement de la démocratie et de l’État de droit. C’est un travail particulièrement précieux, avec d’importantes implications éthiques et sociales, puisque d’une juste conception de ces termes et d’une réflexion constante sur eux dépendent le développement de nos sociétés, leur cohabitation pacifique et leur avenir. Cette recherche est l’une des plus grandes contributions que l’Europe a offerte et offre encore au monde entier.

    C’est pourquoi, en cette enceinte, je ressens le devoir de rappeler l’importance de l’apport et de la responsabilité de l’Europe dans le développement culturel de l’humanité. Je voudrais le faire en partant d’une image que j’emprunte à un poète italien du XXe siècle, Clemente Rebora, qui, dans l’une de ses poésies, décrit un peuplier, avec ses branches élevées vers le ciel et agitées par le vent, son tronc solide et ferme, ainsi que ses racines profondes qui s’enfoncent dans la terre [7] . En un certain sens, nous pouvons penser à l’Europe à la lumière de cette image.

    Au cours de son histoire, elle a toujours tendu vers le haut, vers des objectifs nouveaux et ambitieux, animée par un désir insatiable de connaissance, de développement, de progrès, de paix et d’unité. Mais l’élévation de la pensée, de la culture, des découvertes scientifiques est possible seulement à cause de la solidité du tronc et de la profondeur des racines qui l’alimentent. Si les racines se perdent, lentement le tronc se vide et meurt et les branches – autrefois vigoureuses et droites – se plient vers la terre et tombent. Ici, se trouve peut-être l’un des paradoxes les plus incompréhensibles pour une mentalité scientifique qui s’isole : pour marcher vers l’avenir, il faut le passé, de profondes racines sont nécessaires et il faut aussi le courage de ne pas se cacher face au présent et à ses défis. Il faut de la mémoire, du courage, une utopie saine et humaine.

    D’autre part – fait observer Rebora – « le tronc s’enfonce là où il y a davantage de vrai » [8] . Les racines s’alimentent de la vérité, qui constitue la nourriture, la sève vitale de n’importe quelle société qui désire être vraiment libre, humaine et solidaire. En outre, la véritéfait appel à la conscience, qui est irréductible aux conditionnements, et pour cela est capable de connaître sa propre dignité et de s’ouvrir à l’absolu, en devenant source des choix fondamentaux guidés par la recherche du bien pour les autres et pour soi et lieu d’une liberté responsable [9]  .

    Il faut ensuite garder bien présent à l’esprit que sans cette recherche de la vérité, chacun devient la mesure de soi-même et de son propre agir, ouvrant la voie à l’affirmation subjective des droits, de sorte qu’à la conception de droit humain, qui a en soi une portée universelle, se substitue l’idée de droit individualiste. Cela conduit à être foncièrement insouciant des autres et à favoriser la globalisation de l’indifférence qui naît de l’égoïsme, fruit d’une conception de l’homme incapable d’accueillir la vérité et de vivre une authentique dimension sociale.

    De l’individualisme indifférent naît le culte de l’opulence

    Un tel individualisme rend humainement pauvre et culturellement stérile, puisqu’il rompt de fait les racines fécondes sur lesquelles se greffe l’arbre. De l’individualisme indifférent naît le culte de l’opulence, auquel correspond la culture de déchet dans laquelle nous sommes immergés. Nous avons, de fait, trop de choses, qui souvent ne servent pas, mais nous ne sommes plus en mesure de construire d’authentiques relations humaines, empreintes de vérité et de respect mutuel. Ainsi, aujourd’hui nous avons devant les yeux l’image d’une Europe blessée, à cause des nombreuses épreuves du passé, mais aussi à cause des crises actuelles, qu’elle ne semble plus capable d’affronter avec la vitalité et l’énergie d’autrefois. Une Europe un peu fatiguée et pessimiste, qui se sent assiégée par les nouveautés provenant des autres continents.

    À l’Europe, nous pouvons demander : où est ta vigueur ? Où est cette tension vers un idéal qui a animé ton histoire et l’a rendue grande ? Où est ton esprit d’entreprise et de curiosité ? Où est ta soif de vérité, que jusqu’à présent tu as communiquée au monde avec passion ?

    De la réponse à ces questions, dépendra l’avenir du continent. D’autre part – pour revenir à l’image de Rebora – un tronc sans racines peut continuer d’avoir une apparence de vie, mais à l’intérieur il se vide et meurt. L’Europe doit réfléchir pour savoir si son immense patrimoine humain, artistique, technique, social, politique, économique et religieux est un simple héritage de musée du passé, ou bien si elle est encore capable d’inspirer la culture et d’ouvrir ses trésors à l’humanité entière. Dans la réponse à cette interrogation, le Conseil de l’Europe avec ses institutions a un rôle de première importance.

    Je pense particulièrement au rôle de la Cour Européenne des Droits de l’Homme, qui constitue en quelque sorte la “conscience” de l’Europe pour le respect des droits humains. Je souhaite que cette conscience mûrisse toujours plus, non par un simple consensus entre les parties, mais comme fruit de la tension vers ces racines profondes, qui constituent les fondements sur lesquels les Pères fondateurs de l’Europe contemporaine ont choisi de construire.

    Une Europe multipolaire

    Avec les racines – qu’il faut chercher, trouver et maintenir vivantes par l’exercice quotidien de la mémoire, puisqu’elles constituent le patrimoine génétique de l’Europe – il y a les défis actuels du continent qui nous obligent à une créativité continue, pour que ces racines soient fécondes aujourd’hui et se projettent vers des utopies de l’avenir. Je me permets d’en mentionner seulement deux : le défi de la multipolarité et le défi de la transversalité.

    L’histoire de l’Europe peut nous amener à concevoir celle-ci naïvement comme une bipolarité, ou tout au plus comme une tripolarité (pensons à l’antique conception : Rome – Byzance – Moscou), et à nous mouvoir à l’intérieur de ce schéma, fruit de réductionnismes géopolitiques hégémoniques, dans l’interprétation du présent et dans la projection vers l’utopie de l’avenir.

    Aujourd’hui, les choses ne se présentent pas ainsi et nous pouvons légitimement parler d’une Europe multipolaire. Les tensions – aussi bien celles qui construisent que celles qui détruisent – se produisent entre de multiples pôles culturels, religieux et politiques. L’Europe aujourd’hui affronte le défi de « globaliser » de manière originale cette multipolarité. Les cultures ne s’identifient pas nécessairement avec les pays : certains d’entre eux ont diverses cultures et certaines cultures s’expriment dans divers pays. Il en est de même des expressions politiques, religieuses et associatives.

    Globaliser de manière originale la multipolarité comporte le défi d’une harmonie constructive, libérée d’hégémonies qui, bien qu’elles semblent pragmatiquement faciliter le chemin, finissent par détruire l’originalité culturelle et religieuse des peuples.

    Parler de la multipolarité européenne signifie parler de peuples qui naissent, croissent et se projettent vers l’avenir. La tâche de globaliser la multipolarité de l’Europe, nous ne pouvons pas l’imaginer avec l’image de la sphère – dans laquelle tout est égal et ordonné, mais qui en définitive est réductrice puisque chaque point est équidistant du centre – mais plutôt avec celle du polyèdre, où l’unité harmonique du tout conserve la particularité de chacune des parties. Aujourd’hui, l’Europe est multipolaire dans ses relations et ses tensions ; on ne peut ni penser ni construire l’Europe sans assumer à fond cette réalité multipolaire.

    Investir dans le dialogue inter-culturel

    L’autre défi que je voudrais mentionner est la transversalité. Je pars d’une expérience personnelle : dans les rencontres avec les politiciens de divers pays de l’Europe, j’ai pu remarquer que les politiciens jeunes affrontent la réalité avec une perspective différente par rapport à leurs collègues plus adultes. Ils disent peut-être des choses apparemment similaires, mais l’approche est différente. Cela s’observe chez les jeunes politiciens des divers partis. Cette donnée empirique indique une réalité de l’Europe contemporaine que l’on ne peut ignorer sur le chemin de la consolidation continentale et de sa projection future : tenir compte de cette transversalité qui se retrouve dans tous les domaines. Cela ne peut se faire sans recourir au dialogue, même inter-générationnel. Si nous voulions définir aujourd’hui le continent, nous devrions parler d’une Europe en dialogue, qui fait en sorte que la transversalité d’opinions et de réflexions soit au service des peuples unis dans l’harmonie.

    Emprunter ce chemin de communication transversale comporte non seulement une empathie générationnelle mais aussi une méthodologie historique de croissance. Dans le monde politique actuel de l’Europe, le dialogue uniquement interne aux organismes (politiques, religieux, culturels) de sa propre appartenance se révèle stérile. L’histoire aujourd’hui demande pour la rencontre, la capacité de sortir des structures qui « contiennent » sa propre identité afin de la rendre plus forte et plus féconde dans la confrontation fraternelle de la transversalité. Une Europe qui dialogue seulement entre ses groupes d’appartenance fermés reste à mi-chemin ; on a besoin de l’esprit de jeunesse qui accepte le défi de la transversalité.

    Dans cette perspective, j’accueille positivement la volonté du Conseil de l’Europe d’investir dans le dialogue inter-culturel, y compris dans sa dimension religieuse, par les Rencontres sur la dimension religieuse du dialogue interculturel. Il s’agit d’une occasion propice pour un échange ouvert, respectueux et enrichissant entre personnes et groupes de diverses origines, tradition ethnique, linguistique et religieuse, dans un esprit de compréhension et de respect mutuel.

    Ces rencontres semblent particulièrement importantes dans le contexte actuel multiculturel, multipolaire, à la recherche de son propre visage pour conjuguer avec sagesse l’identité européenne formée à travers les siècles avec les instances provenant des autres peuples qui se manifestent à présent sur le continent.

    C’est dans cette logique qu’il faut comprendre l’apport que le christianisme peut fournir aujourd’hui au développement culturel et social européen dans le cadre d’une relation correcte entre religion et société. Dans la vision chrétienne, raison et foi, religion et société sont appelées à s’éclairer réciproquement, en se soutenant mutuellement et, si nécessaire, en se purifiant les unes les autres des extrémismes idéologiques dans lesquelles elles peuvent tomber. La société européenne tout entière ne peut que tirer profit d’un lien renouvelé entre les deux domaines, soit pour faire face à un fondamentalisme religieux qui est surtout ennemi de Dieu, soit pour remédier à une raison « réduite », qui ne fait pas honneur à l’homme.

    Une réflexion éthique sur les droits humains

    Les thèmes d’actualité, dans lesquels je suis convaincu qu’il peut y avoir un enrichissement mutuel, où l’Église catholique – particulièrement à travers le Conseil des Conférences Épiscopales d’Europe (CCEE) – peut collaborer avec le Conseil de l’Europe et offrir une contribution fondamentale, sont très nombreux. Avant tout, à la lumière de tout ce que je viens de dire, il y a le domaine d’une réflexion éthique sur les droits humains, sur lesquels votre Organisation est souvent appelée à se pencher. Je pense particulièrement aux thèmes liés à la protection de la vie humaine, questions délicates qui ont besoin d’être soumises à un examen attentif, qui tienne compte de la vérité de tout l’être humain, sans se limiter à des domaines spécifiques médicaux, scientifiques ou juridiques.

    De même, ils sont nombreux, les défis du monde contemporains qui requièrent une étude et un engagement commun, à commencer par l’accueil des migrants, qui ont besoin d’abord et avant tout de l’essentiel pour vivre, mais principalement que leur dignité de personnes soit reconnue. Il y a ensuite le grave problème du travail, surtout en ce qui concerne les niveaux élevés de chômage des jeunes dans beaucoup de pays – une vraie hypothèque pour l’avenir – mais aussi pour la question de la dignité du travail.

    Je souhaite vivement que s’instaure une nouvelle collaboration sociale et économique, affranchie de conditionnements idéologiques, qui sache faire face au monde globalisé, en maintenant vivant ce sens de solidarité et de charité réciproques qui a tant caractérisé le visage de l’Europe grâce à l’action généreuse de centaines d’hommes et de femmes – dont certains sont considérés saints par l’Église catholique – qui, au cours des siècles, se sont dépensés pour développer le continent, tant à travers l’activité d’entreprise qu’à travers des œuvres éducatives, d’assistance et de promotion humaine. Surtout ces dernières représentent un point de référence important pour les nombreux pauvres qui vivent en Europe. Combien il y en a dans nos rues ! Ils demandent non seulement le pain pour survivre, ce qui est le plus élémentaire des droits, mais ils demandent aussi à redécouvrir la valeur de leur propre vie, que la pauvreté tend à faire oublier, et à retrouver la dignité conférée par le travail.

    Enfin, parmi les thèmes qui sollicitent notre réflexion et notre collaboration, il y a la protection de l’environnement, de notre bien-aimée Terre qui est la grande ressource que Dieu nous a donnée et qui est à notre disposition non pour être défigurée, exploitée et avilie, mais pour que nous puissions y vivre avec dignité, en jouissant de son immense beauté.

    Monsieur le Secrétaire général, Madame la Présidente, Excellences, Mesdames et Messieurs,

    Le bienheureux Paul VI a défini l’Église « experte en humanité » [10] . Dans le monde, à l’imitation du Christ, malgré les péchés de ses enfants, elle ne cherche rien d’autre que de servir et de rendre témoignage à la vérité [11] . Rien d’autre que cet esprit ne nous guide dans le soutien du chemin de l’humanité.

    Avec cette disposition d’esprit, le Saint-Siège entend continuer sa propre collaboration avec le Conseil de l’Europe, qui revêt aujourd’hui un rôle fondamental pour forger la mentalité des futures générations d’Européens. Il s’agit d’effectuer ensemble une réflexion dans tous les domaines, afin que s’instaure une sorte de « nouvelle agora », dans laquelle chaque instance civile et religieuse puisse librement se confronter avec les autres, même dans la séparation des domaines et dans la diversité des positions, animée exclusivement par le désir de vérité et par celui d’édifier le bien commun. La culture, en effet, naît toujours de la rencontre réciproque, destinée à stimuler la richesse intellectuelle et la créativité de ceux qui y prennent part ; et outre le fait que c’est la réalisation du bien, cela est beau. Je souhaite que l’Europe, en redécouvrant son patrimoine historique et la profondeur de ses racines, en assumant sa vivante multipolarité et le phénomène de la transversalité en dialogue, retrouve cette jeunesse d’esprit qui l’a rendue féconde et grande.

    Merci !

    (Texte original italien, traduction de la salle de presse du Saint-Siège)

    [1] Cf. Evangelii gaudium, n. 223

    [2] Paul VI, Message pour la VIIIè Journée Mondiale de la Paix, 8 décembre 1974.

    [3] Ibid.

    [4] Cf. Evangelii gaudium, n. 226.

    [5]Catéchisme de l’Église Catholique, n. 2329 et Gaudium et spes n. 81.

    [6] Jean-Paul II, Message pour la XVè Journée Mondiale de la Paix, 8 décembre 1981, n. 4.

    [7] “Vibra nel vento con tutte le sue foglie/ il pioppo severo; / spasima l’aria in tutte le sue doglie / nell’ansia del pensiero: / dal tronco in rami per fronde si esprime / tutte al ciel tese con raccolte cime: / fermo rimane il tronco del mistero, / e il tronco s’inabissa ov’è più vero”, Il pioppo in : Canti dell’Infermità, ed. Vanni Scheiwiller, Milano 1957, 32.

    [8]Ibid.

    [9] Cf. Jean-Paul II, Discours à l’Assemblée Parlementaire du Conseil de l’Europe, Strasbourg, 8 octobre 1988, n. 4.

    [10]Lett. Enc. Populorum progressio, n. 13.

    [11] Cf. ibid.


    1 commentaire
  • Aux Européens, le pape demande d’articuler « droits individuels » et « bien commun »

    Dans un discours long et structuré, prononcé mardi 25 novembre au matin devant le Parlement européen, le pape François dénonce les maux des sociétés européennes, tentées par l’individualisme et la « culture du déchet ».

    Il les appelle à ne pas céder au découragement mais au contraire à reconnaître par tous moyens la dignité de la personne humaine, et sa dimension relationnelle

    « Trop de situations subsistent encore dans lesquelles les êtres humains sont traités comme des objets dont on peut programmer la conception, la configuration et l’utilité, et qui ensuite peuvent être jetés quand ils ne servent plus, parce qu’ils deviennent faibles, malades ou vieux. » Arrivé mardi 25 novembre vers 10 h 30 au Parlement européen, à Strasbourg, le pape François a profité d’une session de travail pour s’exprimer devant l’ensemble des parlementaires représentant les 28 pays de l’Union européenne.

    Il a choisi de leur adresser un vigoureux plaidoyer pour une meilleure reconnaissance de la dignité de la personne humaine, concept que les pères fondateurs ont voulu placer « au centre du projet politique européen ».

    « Promouvoir la dignité de la personne signifie reconnaître qu’elle possède des droits inaliénables dont elle ne peut être privée au gré de certains, et encore moins au bénéfice d’intérêts économiques », a-t-il rappelé à une Union européenne au sein de laquelle les dossiers économiques tiennent une place prépondérante.

    Redonner confiance

    « Comment donc redonner espérance en l’avenir », s’interroge-t-il en substance, comment faire en sorte que les jeunes générations retrouvent confiance et poursuivent « le grand idéal d’une Europe unie et en paix, créative et entreprenante, respectueuse des droits et consciente de ses devoirs » ? Tel est le défi de l’Europe, aux yeux du pape, venu proposer son aide aux eurodéputés, l’aide de ce christianisme lié à l’Europe par une « histoire bimillénaire, (…) non exempte de conflits et d’erreurs, mais toujours animée par le désir de construire pour le bien ».

    Ainsi, le « concept de droits humains » peut donner lieu à des « équivoques » ou des « malentendus », voire des « abus ». « Il y a en effet aujourd’hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (μονάς), toujours plus insensible aux autres « monades » présentes autour de soi », a-t-il mis en garde.

    des enfants tués avant de naître

    À ses yeux, « il est plus que jamais vital d’approfondir aujourd’hui une culture des droits humains qui puisse sagement relier la dimension individuelle, ou mieux, personnelle, à celle de bien commun, de ce « nous-tous » formé d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui s’unissent en communauté sociale ». « En effet, rappelle-t-il, si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences ».

    « L’être humain risque d’être réduit à un simple engrenage qui le traite à la manière d’un bien de consommation à utiliser, de sorte que (…) lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées, abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître » a-t-il même déclaré, dans un passage très applaudi.

    Au fond, pour le pape François, redonner du sens, de la force à la construction européenne passe par une redécouverte du concept de « dignité » de la personne humaine inséparable de « la transcendance ». « Un auteur anonyme du IIe siècle a écrit que « les chrétiens représentent dans le monde ce qu’est l’âme dans le corps ». Le rôle de l’âme est de soutenir le corps, d’en être la conscience et la mémoire historique », souligne le pape.

    Reprenant l’image d’une fresque de Raphaël, visible au Vatican et représentant Platon et Aristote, le pape François souligne l’importance vitale pour lui de cette articulation entre « l’ouverture à la transcendance, à Dieu, qui a depuis toujours caractérisé l’homme européen, et la terre qui représente sa capacité pratique et concrète à affronter les situations et les problèmes ». « L’avenir de l’Europe dépend de la redécouverte du lien vital et inséparable entre ces deux éléments », insiste-t-il avant d’appeler les parlementaires européens non pas seulement à « reconnaître la centralité de la personne humaine », mais aussi à « investir dans les domaines où ses talents se forment et donnent du fruit » (famille, éducation, emploi etc).

    « Mettre à profit ses propres racines religieuses »

    Alors que de « nombreux extrémismes déferlent dans le monde d’aujourd’hui », et « aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident », « mettre à profit ses propres racines religieuses, (…) en recueillir la richesse et les potentialités » est aussi le moyen « d’immuniser » l’Europe. « Parce que « c’est l’oubli de Dieu, et non pas sa glorification, qui engendre la violence » », rappelle-t-il dans une vigoureuse dénonciation, là encore très applaudie, des persécutions et les violences dont sont victimes « de nombreuses minorités, notamment chrétiennes, dans le monde ».

    « Chers Eurodéputés, conclut-il, l’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables ; l’Europe qui embrasse avec courage son passé et regarde avec confiance son avenir pour vivre pleinement et avec espérance son présent. Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité ! »

    Discours intégral au parlement européen.

    Monsieur le Président, Mesdames et Messieurs les Vice-présidents, 

     Honorables Députés Européens, 

     Personnes qui travaillent à des titres divers dans cet hémicycle,  

     Chers amis,  

    Je vous remercie pour l’invitation à prendre la parole devant cette institution fondamentale de la vie de l’Union Européenne, et pour l’opportunité qui m’est offerte de m’adresser, à travers vous, à plus de cinq cents millions de citoyens des 28 pays membres que vous représentez. Je désire exprimer une gratitude particulière à vous, Monsieur le Président du Parlement, pour les paroles cordiales de bienvenue que vous m’avez adressées, au nom de tous les membres de l’Assemblée.

    Ma visite a lieu plus d’un quart de siècle après celle accomplie par le Pape Jean-Paul II. Beaucoup de choses ont changé depuis lors, en Europe et dans le monde entier. Les blocs opposés qui divisaient alors le continent en deux n’existent plus, et le désir que « l’Europe, se donnant souverainement des institutions libres, puisse un jour se déployer aux dimensions que lui ont données la géographie et plus encore l’histoire » [1] , se réalise lentement.

     Un monde toujours plus interconnecté et globalisé 

    À côté d’une Union Européenne plus grande, il y a aussi un monde plus complexe, et en fort mouvement. Un monde toujours plus interconnecté et globalisé, et donc de moins en moins « eurocentrique ». À une Union plus étendue, plus influente, semble cependant s’adjoindre l’image d’une Europe un peu vieillie et comprimée, qui tend à se sentir moins protagoniste dans un contexte qui la regarde souvent avec distance, méfiance, et parfois avec suspicion.

    En m’adressant à vous aujourd’hui, à partir de ma vocation de pasteur, je désire adresser à tous les citoyens européens un message d’espérance et d’encouragement.

    Un message d’espérance fondé sur la confiance que les difficultés peuvent devenir des promotrices puissantes d’unité, pour vaincre toutes les peurs que l’Europe – avec le monde entier – est en train de traverser. L’espérance dans le Seigneur qui transforme le mal en bien, et la mort en vie.

     Revenir à la ferme conviction des Pères fondateurs  

    Encouragement pour revenir à la ferme conviction des Pères fondateurs de l’Union Européenne, qui ont souhaité un avenir fondé sur la capacité de travailler ensemble afin de dépasser les divisions, et favoriser la paix et la communion entre tous les peuples du continent. Au centre de cet ambitieux projet politique il y avait la confiance en l’homme, non pas tant comme citoyen, ni comme sujet économique, mais en l’homme comme personne dotée d’une dignité transcendante.

    Je tiens avant tout à souligner le lien étroit qui existe entre ces deux paroles : « dignité » et « transcendante ».

    La « dignité » est le mot-clé qui a caractérisé la reprise du second après-guerre. Notre histoire récente se caractérise par l’indubitable centralité de la promotion de la dignité humaine contre les violences multiples et les discriminations qui, même en Europe, n’ont pas manqué dans le cours des siècles. La perception de l’importance des droits humains naît justement comme aboutissement d’un long chemin, fait de multiples souffrances et sacrifices, qui a contribué à former la conscience du caractère précieux, de l’unicité qu’on ne peut répéter de toute personne humaine individuelle. Cette conscience culturelle trouve son fondement, non seulement dans les événements de l’histoire, mais surtout dans la pensée européenne, caractérisée par une riche rencontre, dont les nombreuses sources lointaines proviennent « de la Grèce et de Rome, de fonds celtes, germaniques et slaves, et du christianisme qui l’a profondément pétrie» [2] , donnant lieu justement au concept de « personne ».

     Promouvoir la dignité de la personne 

    Aujourd’hui, la promotion des droits humains joue un rôle central dans l’engagement de l’Union Européenne, en vue de favoriser la dignité de la personne, en son sein comme dans ses rapports avec les autres pays. Il s’agit d’un engagement important et admirable, puisque trop de situations subsistent encore dans lesquelles les êtres humains sont traités comme des objets dont on peut programmer la conception, la configuration et l’utilité, et qui ensuite peuvent être jetés quand ils ne servent plus, parce qu’ils deviennent faibles, malades ou vieux.

    Quelle dignité existe vraiment, quand manque la possibilité d’exprimer librement sa pensée ou de professer sans contrainte sa foi religieuse ? Quelle dignité est possible, sans un cadre juridique clair, qui limite le domaine de la force et qui fasse prévaloir la loi sur la tyrannie du pouvoir ? Quelle dignité peut jamais avoir un homme ou une femme qui fait l’objet de toute sorte de discriminations ? Quelle dignité pourra jamais avoir une personne qui n’a pas de nourriture ou le minimum nécessaire pour vivre et, pire encore, de travail qui l’oint de dignité ?

    Promouvoir la dignité de la personne signifie reconnaître qu’elle possède des droits inaliénables dont elle ne peut être privée au gré de certains, et encore moins au bénéfice d’intérêts économiques.

    Mais il convient de faire attention pour ne pas tomber dans des équivoques qui peuvent naître d’un malentendu sur le concept de droits humains et de leur abus paradoxal. Il y a en effet aujourd’hui la tendance à une revendication toujours plus grande des droits individuels, qui cache une conception de la personne humaine détachée de tout contexte social et anthropologique, presque comme une « monade » (μονάς), toujours plus insensible aux autres « monades » présentes autour de soi. Au concept de droit, celui - aussi essentiel et complémentaire - de devoir, ne semble plus associé, de sorte qu’on finit par affirmer les droits individuels sans tenir compte que tout être humain est lié à un contexte social dans lequel ses droits et devoirs sont connexes à ceux des autres et au bien commun de la société elle-même.

    Par conséquent je considère qu’il est plus que jamais vital d’approfondir aujourd’hui une culture des droits humains qui puisse sagement relier la dimension individuelle, ou mieux, personnelle, à celle de bien commun, de ce « nous-tous » formé d’individus, de familles et de groupes intermédiaires qui s’unissent en communauté sociale [3] . En effet, si le droit de chacun n’est pas harmonieusement ordonné au bien plus grand, il finit par se concevoir comme sans limites et, par conséquent, devenir source de conflits et de violences.

     Regarder l’homme comme un être relationnel 

    Parler de la dignité transcendante de l’homme signifie donc faire appel à sa nature, à sa capacité innée de distinguer le bien du mal, à cette « boussole » inscrite dans nos cœurs et que Dieu a imprimée dans l’univers créé [4]  ; cela signifie surtout de regarder l’homme non pas comme un absolu, mais comme un être relationnel. Une des maladies que je vois la plus répandue aujourd’hui en Europe est la solitude, précisément de celui qui est privé de liens. On la voit particulièrement chez les personnes âgées, souvent abandonnées à leur destin, comme aussi chez les jeunes privés de points de référence et d’opportunités pour l’avenir ; on la voit chez les nombreux pauvres qui peuplent nos villes ; on la voit dans le regard perdu des migrants qui sont venus ici en recherche d’un avenir meilleur.

    Cette solitude a été ensuite accentuée par la crise économique, dont les effets perdurent encore, avec des conséquences dramatiques du point de vue social. On peut constater qu’au cours des dernières années, à côté du processus d’élargissement de l’Union Européenne, s’est accrue la méfiance des citoyens vis-à-vis des institutions considérées comme distantes, occupées à établir des règles perçues comme éloignées de la sensibilité des peuples particuliers, sinon complètement nuisibles. D’un peu partout on a une impression générale de fatigue et de vieillissement, d’une Europe grand-mère et non plus féconde et vivante. Par conséquent, les grands idéaux qui ont inspiré l’Europe semblent avoir perdu leur force attractive, en faveur de la technique bureaucratique de ses institutions.

     Indifférence aux plus pauvres 

    À cela s’ajoutent des styles de vie un peu égoïstes, caractérisés par une opulence désormais insoutenable et souvent indifférente au monde environnant, surtout aux plus pauvres. On constate avec regret une prévalence des questions techniques et économiques au centre du débat politique, au détriment d’une authentique orientation anthropologique [5] . L’être humain risque d’être réduit à un simple engrenage d’un mécanisme qui le traite à la manière d’un bien de consommation à utiliser, de sorte que – nous le remarquons malheureusement souvent – lorsque la vie n’est pas utile au fonctionnement de ce mécanisme elle est éliminée sans trop de scrupule, comme dans le cas des malades en phase terminale, des personnes âgées abandonnées et sans soin, ou des enfants tués avant de naître.

    C’est une grande méprise qui advient « quand l’absolutisation de la technique prévaut» [6] , ce qui finit par produire « une confusion entre la fin et moyens » [7] . Résultat inévitable de la « culture du déchet » et de la « mentalité de consommation exagérée ». Au contraire, affirmer la dignité de la personne c’est reconnaître le caractère précieux de la vie humaine, qui nous est donnée gratuitement et qui ne peut, pour cette raison, être objet d’échange ou de commerce.Dans votre vocation de parlementaires, vous êtes aussi appelés à une grande mission, bien qu’elle puisse sembler inutile : prendre soin de la fragilité des peuples et des personnes. Prendre soin de la fragilité veut dire force et tendresse, lutte et fécondité, au milieu d’un modèle fonctionnaliste et privatisé qui conduit inexorablement à la « culture du déchet ». Prendre soin de la fragilité de la personne et des peuples signifie garder la mémoire et l’espérance ; signifie prendre en charge la personne présente dans sa situation la plus marginale et angoissante et être capable de l’oindre de dignité [8] .

    Comment donc redonner espérance en l’avenir, de sorte que, à partir des jeunes générations, on retrouve la confiance afin de poursuivre le grand idéal d’une Europe unie et en paix, créative et entreprenante, respectueuse des droits et consciente de ses devoirs ?

    Pour répondre à cette question, permettez-moi de recourir à une image. Une des fresques les plus célèbres de Raphaël qui se trouvent au Vatican représente la dite École d’Athènes. Au centre se trouvent Platon et Aristote. Le premier a le doigt qui pointe vers le haut, vers le monde des idées, nous pourrions dire vers le ciel ; le second tend la main en avant, vers celui qui regarde, vers la terre, la réalité concrète. Cela me paraît être une image qui décrit bien l’Europe et son histoire, faite de la rencontre continuelle entre le ciel et la terre, où le ciel indique l’ouverture à la transcendance, à Dieu, qui a depuis toujours caractérisé l’homme européen, et la terre qui représente sa capacité pratique et concrète à affronter les situations et les problèmes.

     « Esprit humaniste » 

    L’avenir de l’Europe dépend de la redécouverte du lien vital et inséparable entre ces deux éléments. Une Europe qui n’a plus la capacité de s’ouvrir à la dimension transcendante de la vie est une Europe qui lentement risque de perdre son âme, ainsi que cet « esprit humaniste » qu’elle aime et défend cependant.

    Précisément à partir de la nécessité d’une ouverture au transcendant, je veux affirmer la centralité de la personne humaine, qui se trouve autrement à la merci des modes et des pouvoirs du moment. En ce sens j’estime fondamental, non seulement le patrimoine que le christianisme a laissé dans le passé pour la formation socioculturelle du continent, mais surtout la contribution qu’il veut donner, aujourd’hui et dans l’avenir, à sa croissance. Cette contribution n’est pas un danger pour la laïcité des États ni pour l’indépendance des institutions de l’Union, mais au contraire un enrichissement. Les idéaux qui l’ont formée dès l’origine le montrent bien: la paix, la subsidiarité et la solidarité réciproque, un humanisme centré sur le respect de la dignité de la personne.

    Je désire donc renouveler la disponibilité du Saint-Siège et de l’Église catholique – à travers la Commission des Conférences Épiscopales Européennes (COMECE) – pour entretenir un dialogue profitable, ouvert et transparent avec les institutions de l’Union Européenne. De même, je suis convaincu qu’une Europe capable de mettre à profit ses propres racines religieuses, sachant en recueillir la richesse et les potentialités, peut être plus facilement immunisée contre les nombreux extrémismes qui déferlent dans le monde d’aujourd’hui, et aussi contre le grand vide d’idées auquel nous assistons en Occident, parce que « c’est l’oubli de Dieu, et non pas sa glorification, qui engendre la violence » [9] .

    Nous ne pouvons pas ici ne pas rappeler les nombreuses injustices et persécutions qui frappent quotidiennement les minorités religieuses, en particulier chrétiennes, en divers endroits du monde. Des communautés et des personnes sont l’objet de violences barbares : chassées de leurs maisons et de leurs patries ; vendues comme esclaves ; tuées, décapitées, crucifiées et brulées vives, sous le silence honteux et complice de beaucoup.

    La devise de l’Union Européenne est Unité dans la diversité, mais l’unité ne signifie pas uniformité politique, économique, culturelle ou de pensée. En réalité, toute unité authentique vit de la richesse des diversités qui la composent : comme une famille qui est d’autant plus unie que chacun des siens peut être, sans crainte, davantage soi-même. Dans ce sens, j’estime que l’Europe est une famille des peuples, lesquels pourront sentir les institutions de l’Union proches dans la mesure où elles sauront sagement conjuguer l’idéal de l’unité à laquelle on aspire, à la diversité propre de chacun, valorisant les traditions particulières, prenant conscience de son histoire et de ses racines, se libérant de nombreuses manipulations et phobies. Mettre au centre la personne humaine signifie avant tout faire en sorte qu’elle exprime librement son visage et sa créativité, au niveau des individus comme au niveau des peuples.

     Maintenir vivante la démocratie des peuples d’Europe 

    D’autre part, les particularités de chacun constituent une richesse authentique dans la mesure où elles sont mises au service de tous. Il faut toujours se souvenir de l’architecture propre de l’Union Européenne, basée sur les principes de solidarité et de subsidiarité, de sorte que l’aide mutuelle prévale, et que l’on puisse marcher dans la confiance réciproque.

    Dans cette dynamique d’unité-particularité, se pose à vous, Mesdames et Messieurs les Eurodéputés, l’exigence de maintenir vivante la démocratie des peuples d’Europe. Il est connu qu’une conception uniformisante de la mondialité touche la vitalité du système démocratique, affaiblissant le débat riche, fécond et constructif des organisations et des partis politiques entre eux.

    On court ainsi le risque de vivre dans le règne de l’idée, de la seule parole, de l’image, du sophisme… et de finir par confondre la réalité de la démocratie avec un nouveau nominalisme politique. Maintenir vivante la démocratie en Europe demande d’éviter les « manières globalisantes » de diluer la réalité : les purismes angéliques, les totalitarismes du relativisme, les fondamentalismes anhistoriques, les éthiques sans bonté, les intellectualismes sans sagesse [10] .

    Maintenir vivante la réalité des démocraties est un défi de ce moment historique, en évitant que leur force réelle – force politique expressive des peuples – soit écartée face à la pression d’intérêts multinationaux non universels, qui les fragilisent et les transforment en systèmes uniformisés de pouvoir financier au service d’empires inconnus. C’est un défi qu’aujourd’hui l’histoire vous lance.

     La famille unie, pour donner espérance à l’avenir 

    Donner espérance à l’Europe ne signifie pas seulement reconnaître la centralité de la personne humaine, mais implique aussi d’en favoriser les capacités. Il s’agit donc d’y investir ainsi que dans les domaines où ses talents se forment et portent du fruit. Le premier domaine est sûrement celui de l’éducation, à partir de la famille, cellule fondamentale et élément précieux de toute société. La famille unie, féconde et indissoluble porte avec elle les éléments fondamentaux pour donner espérance à l’avenir. Sans cette solidité, on finit par construire sur le sable, avec de graves conséquences sociales. D’autre part, souligner l’importance de la famille non seulement aide à donner des perspectives et l’espérance aux nouvelles générations, mais aussi aux nombreuses personnes âgées, souvent contraintes à vivre dans des conditions de solitude et d’abandon parce qu’il n’y a plus la chaleur d’un foyer familial en mesure de les accompagner et de les soutenir.

    À côté de la famille, il y a les institutions éducatives : écoles et universités. L’éducation ne peut se limiter à fournir un ensemble de connaissances techniques, mais elle doit favoriser le processus plus complexe de croissance de la personne humaine dans sa totalité. Les jeunes d’aujourd’hui demandent à pouvoir avoir une formation adéquate et complète pour regarder l’avenir avec espérance, plutôt qu’avec désillusion. Ensuite, les potentialités créatives de l’Europe dans divers domaines de la recherche scientifique, dont certains ne sont pas encore complètement explorés, sont nombreuses. Il suffit de penser par exemple aux sources alternatives d’énergie, dont le développement servirait beaucoup à la protection de l’environnement.

     Une responsabilité personnelle dans la protection de la création 

    L’Europe a toujours été en première ligne dans un louable engagement en faveur de l’écologie. Notre terre a en effet besoin de soins continus et d’attentions ; chacun a une responsabilité personnelle dans la protection de la création, don précieux que Dieu a mis entre les mains des hommes. Cela signifie, d’une part, que la nature est à notre disposition, que nous pouvons en jouir et en faire un bon usage ; mais, d’autre part, cela signifie que nous n’en sommes pas les propriétaires. Gardiens, mais non propriétaires. Par conséquent, nous devons l’aimer et la respecter, tandis qu’« au contraire, nous sommes souvent guidés par l’orgueil de dominer, de posséder, de manipuler, d’exploiter; nous ne la “gardons” pas, nous ne la respectons pas, nous ne la considérons pas comme un don gratuit dont il faut prendre soin» [11] . Respecter l’environnement signifie cependant non seulement se limiter à éviter de le défigurer, mais aussi l’utiliser pour le bien. Je pense surtout au secteur agricole, appelé à donner soutien et nourriture à l’homme. On ne peut tolérer que des millions de personnes dans le monde meurent de faim, tandis que des tonnes de denrées alimentaires sont jetées chaque jour de nos tables. En outre, respecter la nature, nous rappelle que l’homme lui-même en est une partie fondamentale. À côté d’une écologie environnementale, il faut donc une écologie humaine, faite du respect de la personne, que j’ai voulu rappeler aujourd’hui en m’adressant à vous.

    Le deuxième domaine dans lequel fleurissent les talents de la personne humaine, c’est le travail. Il est temps de favoriser les politiques de l’emploi, mais il est surtout nécessaire de redonner la dignité au travail, en garantissant aussi d’adéquates conditions pour sa réalisation. Cela implique, d’une part, de repérer de nouvelles manières de conjuguer la flexibilité du marché avec les nécessités de stabilité et de certitude des perspectives d’emploi, indispensables pour le développement humain des travailleurs ; d’autre part, cela signifie favoriser un contexte social adéquat, qui ne vise pas l’exploitation des personnes, mais à garantir, à travers le travail, la possibilité de construire une famille et d’éduquer les enfants.

     On ne peut tolérer que la Mer Méditerranéenne devienne un grand cimetière ! 

    De même, il est nécessaire d’affronter ensemble la question migratoire. On ne peut tolérer que la Mer Méditerranéenne devienne un grand cimetière ! Dans les barques qui arrivent quotidiennement sur les côtes européennes, il y a des hommes et des femmes qui ont besoin d’accueil et d’aide. L’absence d’un soutien réciproque au sein de l’Union Européenne risque d’encourager des solutions particularistes aux problèmes, qui ne tiennent pas compte de la dignité humaine des immigrés, favorisant le travail d’esclave et des tensions sociales continuelles. L’Europe sera en mesure de faire face aux problématiques liées à l’immigration si elle sait proposer avec clarté sa propre identité culturelle et mettre en acte des législations adéquates qui sachent en même temps protéger les droits des citoyens européens et garantir l’accueil des migrants ; si elle sait adopter des politiques justes, courageuses et concrètes qui aident leurs pays d’origine dans le développement sociopolitique et dans la résolution des conflits internes – cause principale de ce phénomène – au lieu des politiques d’intérêt qui accroissent et alimentent ces conflits. Il est nécessaire d’agir sur les causes et non seulement sur les effets.

     Monsieur le Président, Excellences, Mesdames et Messieurs les Députés, 

    La conscience de sa propre identité est nécessaire aussi pour dialoguer de manière prospective avec les États qui ont demandé d’entrer pour faire partie de l’Union Européenne à l’avenir. Je pense surtout à ceux de l’aire balkanique pour lesquels l’entrée dans l’Union Européenne pourra répondre à l’idéal de paix dans une région qui a grandement souffert des conflits dans le passé. Enfin, la conscience de sa propre identité est indispensable dans les rapports avec les autres pays voisins, particulièrement avec ceux qui bordent la Méditerranée, dont beaucoup souffrent à cause de conflits internes et de la pression du fondamentalisme religieux ainsi que du terrorisme international.

    À vous législateurs, revient le devoir de protéger et de faire grandir l’identité européenne, afin que les citoyens retrouvent confiance dans les institutions de l’Union et dans le projet de paix et d’amitié qui en est le fondement. Sachant que « plus grandit le pouvoir de l’homme plus s’élargit le champ de ses responsabilités, personnelles et communautaires » [12] . Je vous exhorte donc à travailler pour que l’Europe redécouvre son âme bonne.

    Un auteur anonyme du IIe siècle a écrit que « les chrétiens représentent dans le monde ce qu’est l’âme dans le corps »  [13] . Le rôle de l’âme est de soutenir le corps, d’en être la conscience et la mémoire historique. Et une histoire bimillénaire et aussi de péchés, lie l’Europe et le christianisme. Une histoire non exempte de conflits et d’erreurs, mais toujours animée par le désir de construire pour le bien. Nous le voyons dans la beauté de nos villes, et plus encore dans celle des multiples œuvres de charité et d’édification commune qui parsèment le continent. Cette histoire, en grande partie, est encore à écrire. Elle est notre présent et aussi notre avenir. Elle est notre identité. Et l’Europe a fortement besoin de redécouvrir son visage pour grandir, selon l’esprit de ses Pères fondateurs, dans la paix et dans la concorde, puisqu’elle-même n’est pas encore à l’abri de conflits.

    Chers Eurodéputés, l’heure est venue de construire ensemble l’Europe qui tourne, non pas autour de l’économie, mais autour de la sacralité de la personne humaine, des valeurs inaliénables ; l’Europe qui embrasse avec courage son passé et regarde avec confiance son avenir pour vivre pleinement et avec espérance son présent. Le moment est venu d’abandonner l’idée d’une Europe effrayée et repliée sur elle-même, pour susciter et promouvoir l’Europe protagoniste, porteuse de science, d’art, de musique, de valeurs humaines et aussi de foi. L’Europe qui contemple le ciel et poursuit des idéaux ; l’Europe qui regarde, défend et protège l’homme ; l’Europe qui chemine sur la terre sûre et solide, précieux point de référence pour toute l’humanité !

    Merci

    (Texte original italien, traduction de la salle de presse du Saint-Siège)

      [1]  Jean-Paul II , Discours au Parlement Européen, 11 octobre 1988, n. 5. 

      [2]  Jean-Paul II , Discours à l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe, 8 octobre 1988. 

      [3]   cf. Benoît XVI, Caritas in veritate, n. 7 ; Conc. Œcum. Vat. II, Const. Past. Gaudium et spes, n. 26. 

      [4]   cf. Compendium de la Doctrine Sociale de l’Église, n. 37. 

      [5]   cf. Evangelii gaudium, n. 55. 

      [6]  Benoît XVI , Caritas in veritate, n. 71. 

      [7]  Ibid. 

      [8]   cf. Evangelii gaudium, n. 209. 

      [9]  Benoît XVI , Discours aux Membres du Corps Diplomatique, 7 janvier 2013. 

      [10]   cf. Evangelii gaudium, n. 231. 

     [11] François, Audience générale, 5 juin 2013.

     [12] Gaudium et spes, 34.

     [13] cf. Lettre à Diognète, 6.


    1 commentaire


    Suivre le flux RSS des articles de cette rubrique
    Suivre le flux RSS des commentaires de cette rubrique