• Les débats actuels sur la création d’un tribunal spécial pour juger du crime d’agression et d’un mécanisme de réparation et d’indemnisation des dommages causés par la guerre en Ukraine soulèvent autant de questions politiques que juridiques.

    En avril 2022, après la découverte de centaines de morts à Boutcha, que le président ukrainien, Volodymyr Zelensky, a pour la première fois appelé la communauté internationale à créer un tribunal spécial pour juger les plus hauts dirigeants russes du crime d’agression et un mécanisme de réparation des dommages causés par la guerre. Des demandes qui sont actuellement étudiées au niveau européen et international.

    Des juristes aux avant-postes

    Parmi les premiers tenants du projet de création d’un tribunal spécial pour juger le crime d’agression figure un groupe d’une centaine de juristes, intellectuels et personnalités politiques du monde entier, emmené par l’avocat franco-britannique Philippe Sands, spécialisé dans la défense des droits de l’Homme. « La Cour pénale internationale ne peut enquêter sur le crime d’agression que s’il est renvoyé par le Conseil de sécurité des Nations unies. La Russie, en tant que membre de l’ONU, a le droit de veto à ce sujet, qu’elle exercerait naturellement immédiatement. Nous demandons donc la création d’un tribunal international pour juger le président Poutine pour crime d’agression », écrivent-ils dans leur appel, lancé en mars 2022 et mis en ligne sur le site Justice for Ukraine. « Ce n’est pas une idée nouvelle : il y a 80 ans, les dirigeants mondiaux se sont réunis à Londres pour créer un cadre juridique permettant de poursuivre les criminels de la Seconde Guerre mondiale. Ce cadre juridique a donné lieu aux procès de Nuremberg, au cours desquels 161 criminels de guerre ont été condamnés », rappellent-ils.

    Une initiative similaire a été lancée en novembre dernier en France par un groupe de juristes, universitaires et chercheurs pour appeler les dirigeants français à se positionner en faveur de ce projet. « La guerre en Irak de 2003, elle aussi manifestement illégale, avait constitué un redoutable précédent. Ne pas punir cette nouvelle agression, c’est préparer les guerres mondiales de demain, et accepter qu’il n’y ait alors plus aucun recours juridique », écrivent-ils dans la tribune qu’ils ont cosignée. « La France doit participer à la création du tribunal spécial international. Sinon, ce mouvement se fera sans elle. Nous aurions alors beaucoup à perdre. »

    Des projets en débat au sein des instances européennes

    L’idée a été très vite mise à l’ordre du jour de l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe. Dès avril 2022, elle a adopté à l’unanimité une résolution visant, entre autres, la création un tribunal ad hoc pour juger les hauts dirigeants russes pour le crime d’agression « selon la définition établie par le droit international coutumier ».

    Depuis, le comité des ministres du Conseil de l’Europe est convenu, en octobre dernier, de poursuivre l’examen de ce projet lors de ses prochaines réunions, et un « débat d’urgence » sur le sujet sur les questions juridiques liées à la guerre en Ukraine est à l’ordre du jour de la prochaine session plénière de l’Assemblée parlementaire, fin janvier 2023.

    De son côté, la Commission européenne a proposé, à la demande du Conseil de l’Union européenne, deux options pour pouvoir juger les plus hauts dirigeants russes du crime d’agression : un tribunal spécial international fondé sur un traité multilatéral ou un tribunal hybride basé sur un accord entre Kiev et une organisation internationale (telle que l’UE ou le Conseil de l’Europe) et associant des juges ukrainiens à des juges internationaux. Dans les deux cas, du fait de la nature très politique du crime d’agression, « il sera essentiel de pouvoir compter sur un soutien fort des Nations unies » et sur « un très large et fort soutien de la communauté internationale », a déclaré la présidente de la Commission, Ursula Van der Leyen, fin novembre, lors de la présentation de ces propositions, qui vont être soumises aux États membres pour décider des suites à y donner.

    Une proposition qui ne fait pas l’unanimité

    Dans l’enceinte des Nations Unies, tous les débats concernant la guerre en Ukraine ont lieu dans le cadre d’une « session extraordinaire d’urgence », un mécanisme qui permet à l’Assemblée générale de délibérer sur des questions de maintien de la paix et de sécurité internationale lorsqu’il n’y a pas d’unanimité entre les cinq membres permanents du Conseil de sécurité (la France, le Royaume-Uni, la Chine, les États-Unis et la Russie). Ainsi, même s’il se voit opposer un veto de la Russie, le dépôt d’une résolution devant le Conseil de sécurité des Nations Unies permet d’ouvrir la voie à un débat et un vote devant l’Assemblée générale de l’ONU. Mais l’issue d’un vote sur la création d’un tribunal spécial pour juger le crime d’agression en Ukraine est assez incertaine, car le principe est loin de faire l’unanimité. Pour l’heure, ni la France, ni le Royaume-Uni ou les États-Unis n’ont apporté leur soutien à ce projet, de crainte de créer un précédent. Instituer un tribunal pour juger l’agresseur russe pose nécessairement question pour tous ceux qui ont pu prendre part à « des agressions » par le passé.

    La Cour pénale internationale ne veut pas être écartée

    Le procureur général de la Cour pénale internationale (CPI), Karim Khan, n’y est pas favorable non plus, mais pour d’autres raisons : cela contribuerait à affaiblir la CPI, qui peine déjà à s’imposer. Début décembre, lors de son discours devant l’assemblée des États parties au traité de Rome, qui fonde la Cour, le procureur général a invité la communauté internationale à « s’appuyer sur les institutions dont nous disposons aujourd’hui » plutôt que créer un tribunal spécial. « Nous ne voulons pas la dilution, nous voulons la consolidation », a-t-il déclaré, en appelant les États parties à renforcer le soutien, notamment financier, à la Cour. S’il reconnaît que juger le crime d’agression pose une difficulté aujourd’hui, « nous devrions essayer de la résoudre via le traité de Rome ».

    Le procureur général de la CPI estime par ailleurs que la Commission européenne se trompe sur les questions liées à l’immunité des dirigeants russes, lesquels ne seraient pas hors d’atteinte de la Cour. Un sujet qui fait débat parmi les juristes : certains estiment que le chef de l’État russe et certains de ses ministres sont couverts par leur immunité parce que la Russie n’a pas adhéré au Traité de Rome, quand d’autres jugent que leur immunité est levée car les crimes sont commis sur le territoire de l’Ukraine, qui a saisi la CPI.

    Un mécanisme de compensation similaire à celui créé pour le Koweït

    Autre demande de l’Ukraine qui commence à prendre forme tant sur le plan politique que juridique : la mise en place d’un mécanisme de réparation et d’indemnisation des dommages causés par la Russie. L’Assemblée générale des Nations Unies a ainsi adopté en novembre dernier une résolution qui préconise l’instauration d’un mécanisme de compensation des dommages et d’un « registre » pour consigner l’ensemble des plaintes et des preuves en vue des futures réparations.

    Lors des débats qui ont précédé le scrutin sur cette résolution, qui n’a obtenu que 94 votes favorables (73 abstentions et 14 votes contre), l’ambassadeur de l’Ukraine auprès de l’ONU a notamment rappelé que la Russie a soutenu la Commission de compensation des Nations Unies créée en 1991 après l’invasion du Koweït par l’Irak, laquelle a versé au titre des réparations plus 52 milliards de dollars prélevés sur les revenus pétroliers de l’Irak pendant trente ans. Depuis 2007, l’ONU gère également un registre des dommages causés par la construction du mur dans le Territoire palestinien occupé, le UNRoD, qui a reçu plus de 73 000 plaintes et collecté un million de documents.

    Utiliser les avoirs gelés pour financer la reconstruction

    Or, du fait des sanctions prises par l’UE à l’encontre de Moscou, près de 300 milliards d’euros de réserves de la Banque centrale russe sont actuellement bloqués au sein de l’UE et dans d’autres pays partenaires du G7, et près de 19 milliards d’euros d’avoirs appartenant à des oligarques russes sous sanctions ont également été gelés par les États membres de l’UE. En incluant les avoirs gelés du fait sanctions prises par les États-Unis et les entreprises détenues ou contrôlées par l’État russe, dont Gazprom, le total approcherait les 600 milliards de dollars.

    À la demande du Conseil de l’UE qui veut étudier les possibilités d’utiliser les avoirs gelés pour la reconstruction de l’Ukraine, la Commission européenne a récemment proposé de mettre en place une structure « pour gérer les fonds publics russes gelés, les investir et utiliser le produit de ces investissements en faveur de l’Ukraine ». Une fois les sanctions levées, la restitution des réserves de la Banque centrale russe pourrait se faire dans le cadre d’un « accord de paix » prévoyant l’indemnisation de l’Ukraine : « les actifs qui devraient être restitués pourraient être compensés par cette réparation de guerre », suggère la Commission.

    En parallèle, les États membres de l’UE sont convenus d’ajouter la violation des sanctions à la liste des infractions pénales de l’UE et de réviser les règles actuelles pour permettre aux autorités nationales de confisquer plus facilement les avoirs gelés. La Commission a alors publié début décembre une proposition de directive qui ouvre la possibilité de poursuivre au pénal ceux qui violent les sanctions comme ceux qui les y aident, et de confisquer les avoirs gelés sur le sol européen. Ouverte à la consultation publique pendant huit semaines, la proposition de directive devra ensuite être validée par le Conseil et le Parlement européens, et les États membres disposeront alors d’un an pour la transposer en droit national.

    Un certain nombre d’obstacles et de limites sur le plan juridique

    Le 12 décembre dernier, l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe a organisé une audition consacrée à la question des mécanismes de compensation pour l’Ukraine, au cours de laquelle le professeur Burkhard Hess, directeur de l’Institut Max Planck pour le droit procédural international, européen et réglementaire, a dressé un état des lieux des précédents, des possibilités et des limites en matière d’expropriation et de transfert d’avoirs.

    Après avoir rappelé que « les sanctions sont des mesures temporaires », il a expliqué que « la situation n’est pas très claire » en ce qui concerne l’immunité des fonds des banques centrales en général et que « la situation est compliquée » pour ce qui est de l’expropriation des oligarques – les précédents visaient des avoirs acquis de façon douteuse, tels que des biens appartenant à la mafia, par exemple. À quoi il faut ajouter les traités bilatéraux d’investissement signés par la Russie avec différents États membre de l’Union européenne et qui constituent « une protection supplémentaire » pour les investisseurs privés. En matière civile, les actions à l’encontre de la Russie « sont peu probables », même si « la Cour suprême ukrainienne a autorisé la plainte déposée par une femme dont le mari est mort pendant les combats », a-t-il relevé, avant d’ajouter que ce dernier cas était « intéressant ». Quant aux procédures pendantes devant la Cour internationale de justice, elles sont « très longues, trop longues » au regard de l’urgence, mais « si la Cour condamne la Russie alors la réparation est due », a-t-il rappelé.

    * Philippe Sands est l’auteur de Retour à Lemberg, ouvrage dans lequel il revient sur l’histoire des avocats qui sont à l’origine des concepts de génocide et de crimes contre l’humanité, à Lviv (anciennement Lemberg) en Ukraine

    Écocide et reconstruction « verte » de l’Ukraine

    Dans une note publiée en juillet 2022, l’OCDE chiffre à plus de 100 milliards de dollars les dommages causés par la guerre aux infrastructures, aux terres agricoles, aux logements et autres bâtiments en Ukraine, et à au moins 30 % la surface des espaces protégés et 900 le nombre de zones naturelles touchées. La note conclut que la reconstruction « verte » après le conflit est « une nécessité économique en vue de la transformation radicale de l’Ukraine en une économie verte à zéro émission nette ». En France, des représentants de la société civile et du parlement ukrainiens ont récemment été auditionnés par les commissions du développement durable et des affaires étrangères de l’Assemblée nationale sur l’impact de la guerre sur l’environnement et la biodiversité. À cette occasion, la délégation ukrainienne, qui cherche à établir les preuves d’un écocide commis par la Russie, a sollicité le soutien des Européens pour expertiser et documenter ces dégâts.

     


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  • Sentence arbitrale – reconnaissance – contradictoire:


    « Selon l’arrêt attaqué (Paris, 21 mai 2019), rendu sur renvoi après cassation (1re Civ., 1er juin 2017, pourvoi n° 16-13.729), la société égyptienne National Gas Company (NATGAS) a signé, le 6 janvier 1999, avec avenants des 24 septembre 2001 et 4 avril 2004, un contrat d’adduction de gaz naturel pour l’alimentation de deux régions à l’Est de l’Egypte avec la société Egyptian General Petroleum Corporation (EGPC), établissement public de droit égyptien gérant les activités relatives au gaz et au pétrole en Egypte. Au cours de l’exécution du contrat, un nouvel établissement a été créé, la société Egyptian Natural Gas Company (EGAS), qui s’est substitué à la société EGPC pour prendre en charge certaines de ses activités. La parité de la livre égyptienne ayant été modifiée par décret du 28 janvier 2003 des autorités égyptiennes, la société NATGAS a tenté de négocier un accord en raison de l’accroissement de ses charges financières. Face au refus de son cocontractant, elle a mis en oeuvre la clause d’arbitrage insérée au contrat. Par sentence du 12 septembre 2009 rendue au Caire, le tribunal arbitral a condamné la société EGPC à payer à la société NATGAS diverses sommes.
     
    Après avoir exactement énoncé que les dispositions des articles 1514 et suivants du Code de procédure civile sur la reconnaissance et l’exécution des sentences arbitrales sont applicables à la fois aux sentences arbitrales internationales et aux sentences rendues à l’étranger, quel que soit, pour ces dernières, leur caractère interne ou international, l’arrêt retient exactement que la circonstance que le droit égyptien soumette à une autorisation ministérielle la conclusion par un établissement public d’un contrat prévoyant le recours à l’arbitrage est indifférente à l’appréciation de l’efficacité de la clause compromissoire par le juge français, peu important que la sentence rendue en Egypte ait un caractère interne ou international, de sorte que l’argumentation développée par la société EGPC sur la nullité de la clause d’arbitrage en ce qu’elle se fonde sur le caractère interne de l’arbitrage est dépourvue de pertinence.
     
    L’arrêt relève que la société NATGAS a, le premier jour de l’audience devant le tribunal arbitral, remis des billets à ordre au vu desquels son expert avait présenté un rapport, expliquant chaque pièce, son montant et l’ensemble de ses conditions et modifications. Il observe que les parties, qui ont déclaré n’avoir aucune objection ou réserve à formuler sur la procédure suivie, ont, en cours d’audience, interrogé leurs experts et débattu des rapports de ceux-ci. Il ajoute qu’il a été fait droit à la seule demande de la société EGPC formulée à l’audience de disposer d’un délai supplémentaire pour examiner les nouvelles pièces remises et qu’elle a été autorisée à déposer un rapport complémentaire sur ce point, de sorte que son conseil et son expert ont pu examiner, analyser et répondre en temps utile à l’ensemble des documents comptables qui lui ont été communiqués.
    De ces constatations souveraines, la cour d’appel a justement déduit que les parties avaient été en mesure de discuter contradictoirement l’ensemble des moyens, arguments et pièces produites ».
    Cass. 1ere civ., 13 janv. 2021, n° 19-22.932
     
     
    Communauté internationale – immunité de juridiction:


    « Le 14 novembre 2002, MM. B... Y..., C... Z... et leurs parents ont déposé une plainte avec constitution de partie civile auprès du doyen des juges d’instruction du tribunal de grande instance de Lyon des chefs d’acte attentatoire à la liberté individuelle consistant en une détention de plus de sept jours, abstention volontaire de mettre fin à une privation illégale de liberté et séquestration de personne.
    Les deux intéressés, de nationalité française, ont été arrêtés dans le cadre des opérations déclenchées par les Etats-Unis à l’encontre du régime taliban et du réseau Al Qaida, et détenus au camp de Guantanamo Bay, base militaire américaine située à Cuba.
    Par ordonnance du 14 février 2003, le juge d’instruction a refusé d’informer. La chambre de l’instruction de la cour d’appel de Lyon a confirmé cette ordonnance par arrêt du 20 mai 2003.
    Par arrêt du 4 janvier 2005 (pourvoi n° 03-84.652), la chambre criminelle de la Cour de cassation a cassé cette décision et renvoyé l’affaire devant la chambre de l’instruction de la cour d’appel de Paris.
    Par arrêt en date du 1er juin 2005, cette juridiction a infirmé l’ordonnance de refus d’informer.
    Les magistrats instructeurs saisis ont procédé à de nombreuses investigations sur les conditions dans lesquelles les parties civiles ont été détenues.
    Le 6 octobre 2009, le procureur de la République a délivré un réquisitoire supplétif des chefs de tortures et actes de barbarie concomitants aux crimes d’arrestation, enlèvement, détention, séquestration sans ordre des autorités constituées et hors les cas prévus par la loi commis en réunion, avec préméditation et avec usage ou menace d’une arme.
    Aucune des diverses commissions rogatoires internationales adressées aux Etats-Unis n’a reçu exécution, les autorités américaines refusant de lever le secret-défense.
    De même, le ministre de la Défense français a fait connaître aux magistrats instructeurs que la Commission consultative du secret de la défense nationale avait rendu un avis défavorable qu’il entendait suivre.
    Le 18 septembre 2017, les juges d’instruction on rendu une ordonnance de non-lieu dont les parties civiles ont interjeté appel.
     
    Pour dire irrecevable le mémoire déposé par Maître R... le 6 novembre 2019 au greffe de la chambre de l’instruction, l’arrêt attaqué énonce qu’un mémoire non signé ne saisit pas la cour des arguments qu’il pourrait contenir ni des pièces jointes.
    En statuant ainsi, la chambre de l’instruction a justifié sa décision et n’a pas violé les principes conventionnels invoqués.
    En effet, les mémoires présentés devant la chambre de l’instruction en vertu de l’article 198 du Code de procédure pénale, lorsqu’ils ne comportent pas la signature de la partie intéressée ou de son avocat, ne saisissent pas les juges des moyens qui peuvent y être formulés.
    Le demandeur ne peut se faire grief de cette exigence destinée à garantir l’authenticité de l’acte. Peu importe, à cet égard, l’identité de celui qui a déposé ledit mémoire.
    Le moyen doit, en conséquence, être écarté.
     
    Pour confirmer l’ordonnance de non-lieu, l’arrêt attaqué relève que les personnes désignées par les avocats des parties civiles au cours de l’instruction sont effectivement susceptibles d’avoir participé, comme auteur ou complice, aux faits objet de l’information mais qu’elles bénéficient d’une immunité de juridiction qui empêche que l’information soit utilement poursuivie, une telle immunité ratione materiae concernant les actes qui, par leur nature ou leur finalité, relèvent de l’exercice de la souveraineté de l’Etat concerné.
    Les juges retiennent que l’arrestation des personnes transférées à Guantanamo, au nombre desquelles figuraient M Y... et M. Z..., puis le traitement qui leur a été réservé, ont été décidés et organisés par les autorités politiques des Etats-Unis d’Amérique, et au plus haut niveau de l’Etat par le Président Georges W. Bush et mise en oeuvre par l’armée des Etats-Unis dans le cadre des opérations de lutte contre le terrorisme déclenchées à la suite des attentats du 11 septembre 2001, que ces actes relèvent de l’exercice de la souveraineté de l’Etat concerné et ne constituent pas des actes de simple gestion.
    La chambre de l’instruction conclut que les personnes susceptibles d’avoir participé comme auteur ou complices aux faits dénoncés par M Y... et M. Z..., et notamment les responsables américains visés par les observations des parties civiles au cours de l’information, à savoir, M. G.W Bush, président des Etats-Unis de 2001 à 2009, M. Donald Rumsfeld, secrétaire d’Etat à la défense des Etats Unis de janvier 2001 au 8 novembre 2006, M. D... W..., conseiller juridique à la Maison Blanche de 2001 à 2005, M. E... V..., conseiller juridique de l’attorney général, M. F... U..., assistant à l’attorney général, M. G... T..., directeur des affaires juridiques au secrétariat d’Etat à la défense sous Donald Rumsfeld, et le général H... S..., commandant du camp de Guantanamo au moment des faits, bénéficient de l’immunité de juridiction qui s’oppose à leur poursuite devant les juridictions pénales françaises, à leur mise en examen ou à la délivrance d’un mandat d’arrêt à leur encontre.
    Les juges ajoutent enfin qu’il n’est pas utile à la manifestation de la vérité de procéder à l’audition des responsables américains précédemment mentionnés dès lors qu’ils ne peuvent être poursuivis ni mis en examen ni faire l’objet de mandats d’arrêt et que, pour les mêmes raisons, de nouvelles auditions de témoins ne sont pas nécessaires, de même la réitération des demandes effectuées par la voie de l’entraide pénale internationale qui se sont déjà heurtées à l’absence de réponse ou au refus d’exécution des autorités judiciaires des Etats-Unis, ou tout autre acte d’information.
    En l’état de ces énonciations, la chambre de l’instruction a justifié sa décision pour les motifs qui suivent.
    Les faits incriminés, reprochés à un ancien président des Etats-Unis et à différents membres du gouvernement, fonctionnaires ou membres de l’armée américaine, ne peuvent être assimilés à de simples actes de gestion mais constituent des actes relevant de l’exercice de la souveraineté de l’Etat.
    La coutume internationale s’oppose à ce que les agents d’un Etat, en l’absence de dispositions internationales contraires s’imposant aux parties concernées, puissent faire l’objet de poursuites, pour des actes entrant dans cette catégorie, devant les juridictions pénales d’un État étranger.
    Il appartient à la communauté internationale de fixer les éventuelles limites de ce principe, lorsqu’il peut être confronté à d’autres valeurs reconnues par cette communauté, et notamment celle de la prohibition de la torture.
    En l’état du droit international, les crimes dénoncés, quelle qu’en soit la gravité, ne relèvent pas des exceptions au principe de l’immunité de juridiction.
    Par ailleurs, le droit d’accès à un tribunal, tel que garanti par l’article 6 de la Convention européenne des droits de l’homme, n’est pas absolu et ne s’oppose pas à une limitation à ce droit, découlant de l’immunité des États étrangers et de leurs représentants, dès lors que cette limitation est consacrée par le droit international et ne va pas au-delà des règles généralement reconnues en matière d’immunité des États. En l’espèce, l’octroi de l’immunité, conformément au droit international, ne constitue pas une restriction disproportionnée au droit d’un particulier d’avoir accès à un tribunal.
    Enfin, il est vainement fait grief à l’arrêt d’avoir refusé d’ordonner les nouvelles mesures d’instruction sollicitées, dès lors que l’opportunité d’ordonner un supplément d’information est une question de pur fait qui échappe au contrôle de la Cour de cassation.
    Ainsi, le moyen doit être écarté ».
    Cass. crim., 13 janv. 2021, n° 20-80.511


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  • Il y a 75 ans, débutait la conférence de San Francisco qui donna naissance à l’ONU

    Les Nations Unies ont célébré le 25 avril  la première Journée internationale des délégués, 75 ans, jour pour jour, après le début de la conférence de San Francisco dont les travaux ont donné naissance à l’ONU.

    Le ciel était clair et ensoleillé ce 25 avril 1945 à San Francisco. La Seconde guerre mondiale n’était pas encore terminée que la paisible ville californienne s’apprêtait à accueillir le plus important événement diplomatique de l’époque en terme de taille et d’enjeu : la Conférence des Nations Unies sur les organisations internationales. La blague qui courrait dans les restaurants et cafés était que la ville a été prise d’assaut par tant de délégués étrangers et de journalistes qu’il n’y avait plus assez de place pour son emblématique brouillard permanent.

    « Il y a un vigoureux optimisme à San Francisco qui devrait donner une atmosphère tonique pour la conférence », déclarait confiante la journaliste Anne O’Hare McCormick, qui couvrait l’événement pour le quotidien américain New York Times.

    Deux semaines après la mort du Président américain Franklin D. Roosevelt et deux semaines avant la capitulation de l’Allemagne nazie, 850 délégués de 46 pays ont pris le chemin de la baie de San Francisco pour jeter les bases de l'Organisation des Nations Unies. « Vous, les membres de cette conférence, serez les architectes du monde meilleur », avait lancé aux délégués le tout nouveau Président américain Harry Truman dans son discours d’accueil à l’ouverture de la réunion internationale.

    Pendant deux mois, les diplomates et leurs délégations se réunirent dans l’enceinte du War Memorial Opera House de  San Francisco– lieu de concert érigé en l’honneur des soldats morts lors la Première guerre mondiale - pour définir les buts et les principes de la nouvelle organisation internationale qui naîtra des cendres de la Seconde guerre mondiale. Le 26 juin 1945, la conférence s’est conclue sur l’adoption de la Charte des Nations Unies - la « constitution » de l’organisation - qui fut ratifiée par 51 Etats le 24 octobre de la même année : date officielle de naissance de l’ONU.

    Première Journée internationale des délégués

    Consciente du rôle joué par les représentants des gouvernements réunis à San Francisco en 1945, l’Assemblée générale des Nations Unies - l’organe onusien qui rassemble les 193 Etats membres de l’organisation - a adopté l’année dernière une résolution proclamant la Journée internationale des délégués. Cette journée est célébrée pour la première fois ce 25 avril 2020, 75 ans, jour pour jour, après le début de la conférence dans la ville californienne.

    La Journée met en avant le rôle que jouent les représentants, femmes et hommes, des États membres des Nations Unies pour accomplir les principaux objectifs de l’ONU, à savoir maintenir la paix et la sécurité internationales, recourir aux institutions internationales pour favoriser le progrès économique et social de tous les peuples et  promouvoir et encourager le respect des droits de l’homme et des libertés fondamentales, tel que l’envisage la Charte des Nations Unies. L’événement vise également à favoriser un multilatéralisme efficace.

    « Nous célébrons cette première Journée internationale des délégués à un moment où la coopération internationale est plus importante que jamais », a déclaré le Secrétaire général des Nations Unies, António Guterres, dans un message pour la journée.

    « Notre expérience nous a appris que lorsque nous travaillons ensemble, nous gagnons », a, pour sa part, déclaré le Président de l'Assemblée générale des Nations Unies, Tijjani Muhammad-Bande, dans un message pour la journée. « Nous ne devons jamais relâcher nos efforts pour combler les lacunes et agir pour le bien commun », a-t-il ajouté.

    Les délégués qui représentent leur pays à l’ONU relèvent le défi de prouver l’efficacité du multilatéralisme, « en adoptant de nouvelles méthodes de travail, tout en s’appuyant sur une solide tradition de dialogue et de collaboration », a rappelé le Secrétaire général. À l'Assemblée générale des Nations Unies, les diplomates missionnés par leurs peuples respectifs travaillent ensemble au sein des différentes commissions en faveur du progrès humain en promouvant la paix et la sécurité, les droits de l'homme et le développement.

    « En cette période extrêmement difficile de la pandémie de Covid-19, il est essentiel que nous assurions la continuité des travaux essentiels de l'Assemblée générale », a souligné M. Muhammad-Bande. Pour M. Guterres, le coronavirus « nous impose d’agir dans l’unité, en excluant toute stigmatisation et en accordant une attention particulière aux plus vulnérables ». Des propos dont s’est fait l’écho le Président de l'Assemblée générale : « Ensemble, nous devons lutter contre la discrimination et la stigmatisation et arrêter la propagation de la peur et de la haine ».

    Alors que l’ONU fête son 75e anniversaire, le Secrétaire général entend poursuivre le partenariat entre l’ONU et les délégués de ses Etats membres « pour sauver des vies, atténuer les souffrances humaines et bâtir un monde plus pacifique, plus durable et plus équitable pour toute l’humanité ». En cette première Journée internationale des délégués, le Président de l'Assemblée générale a rappelé l’optimisme qui a guidé les diplomates réunis il y a 75 ans à San Francisco : « Ce n'est qu'en travaillant ensemble que nous créerons un monde meilleur et plus sûr pour tous ».


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  • Les États-Unis se retirent d’un traité signé avec l’URSS

    Donald Trump a annoncé samedi 20 octobre 2018 se retirer sur traité INF (Intermediate Nuclear Forces Treaty) signé en 1987 entre Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbachev.

    Retour vers le futur de la guerre froide ? Accusant Moscou de le violer « depuis de nombreuses années », Donald Trump a annoncé samedi 20 octobre que les États-Unis allaient se retirer d’un traité sur les armes nucléaires conclu avec l’Union soviétique pendant la Guerre froide. Le traité INF (Intermediate Nuclear Forces Treaty) sur les armes nucléaires de portée intermédiaire avait été signé en 1987 par les dirigeants américain et soviétique de l’époque, Ronald Reagan et Mikhaïl Gorbatchev.

    Ce traité, en abolissant l’usage de toute une série de missiles d’une portée variant de 500 à 5 500 km, avait mis un terme à la crise déclenchée dans les années 1980 par le déploiement des SS-20 soviétiques à têtes nucléaires ciblant les capitales occidentales.

    Aujourd’hui, l’administration américaine se plaint du déploiement par Moscou du système de missiles 9M729, dont la portée selon Washington dépasse les 500 km, ce qui constitue une violation du traité INF. Moscou a dénoncé la décision de Donald Trump en affirmant qu’elle est motivée par le « rêve » des Américains de dominer seuls le monde. La Russie accuse Washington d’avoir « délibérément » sapé cet accord au fil des ans.

    Selon le Guardian, c’est le conseiller à la Sécurité nationale John Bolton qui a fait pression sur le président américain pour un retrait du traité INF. C’est aussi lui qui bloque toute négociation pour une extension du traité New Start sur les missiles stratégiques, qui arrive à expiration en 2021 et que Moscou cherche à prolonger.

    Le retrait américain de l’INF pourrait avoir aussi Pékin en ligne de mire. La Chine, n’étant pas signataire, peut développer sans contrainte des armes nucléaires de portée intermédiaire.

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  • La mer Caspienne dotée désormais d'un statut

    Le document signé dimanche 12 août 2018 devrait apaiser les tensions entre les pays ayant en partage cette mer d'Asie qui recèle d'importants gisements d'hydrocarbures.

    Les responsables des cinq pays bordant la mer Caspienne ont signé dimanche au Kazakhstan une convention définissant le statut légal de cette mer stratégique. Elle recèle d'importants gisements d'hydrocarbures.

    Réunis dans le port kazakh d'Aktaou, les responsables de Russie, d'Iran, du Kazakhstan, d'Azerbaïdjan et du Turkménistan ont paraphé ce document. Il donne à la mer Caspienne un statut dont elle était privée depuis la dissolution de l'Union soviétique. «Nous pouvons dire qu'un consensus sur le statut de la mer a été difficile à atteindre et qu'il a pris du temps, les pourparlers se sont échelonnés sur 20 ans et ont nécessité des efforts importants et conjoints des parties impliquées», a dit l'hôte de la cérémonie, le président kazakh Noursoultan Nazarbaïev.

    Le président russe Vladimir Poutine, puissance favorable à cet accord, a évoqué une convention dont la «signification fera époque». Il a plaidé pour une plus grande coopération militaire pour les pays de la mer Caspienne.

    Le 12 août «Journée de la mer Caspienne»

    L'accord devrait aider à apaiser les tensions existant de longue date dans la région, qui recèle de vastes réserves d'hydrocarbures. Celles-ci sont estimées à près de 50 milliards de barils de pétrole et près de 300'000 milliards de m3 de gaz naturel.

    Selon le Kremlin, l'accord préserve la plus grande partie de la Caspienne en tant que zone partagée. Mais elle partage les fonds marins et les ressources sous-marines entre les cinq pays.

    Selon le vice-ministre russe des Affaires étrangères, Grigori Karassine, la Caspienne bénéficiera d'un «statut légal spécial»: ni mer, ni lac, qui ont tous deux leur propre législation en droit international.

    Le sommet de dimanche à Aktaou au Kazakhstan est le cinquième du genre depuis 2002. Plus de 50 réunions ministérielles et techniques se sont tenus depuis la dissolution de l'URSS, qui a placé quatre nouveaux pays sur les rives de la Caspienne. Si cet accord va «étendre les possibilités de coopération» entre les cinq Etats bordant la Caspienne, certains pays risquent d'en sortir davantage gagnants que d'autres, selon Ilham Shaban, président du groupe de réflexion Caspian Barrel.

    Le Turkménistan, un des pays les plus fermés de la planète, a ainsi proclamé le 12 août «Journée de la mer Caspienne» en l'honneur du futur accord, affichant ainsi son enthousiasme.


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  •  Genève se saisit des crimes commis au Yémen

    Une coalition d’ONG demande à l’ONU l’ouverture d’une enquête internationale.

    «Le Conseil des droits de l’homme de l’ONU devrait ouvrir une enquête internationale indépendante sur les abus commis par toutes les parties au Yémen.» Dans une lettre adressée aux pays membres du Conseil, Human Rights Watch (HRW) et 56 autres ONG demandent la création d’un organe indépendant. Celui-ci devrait se pencher sur les «sérieuses violations» du droit humanitaire international au Yémen.

    Les rebelles houthis ont été accusés de bombarder des quartiers résidentiels et d’enrôler des enfants-soldats. La coalition sous commandement saoudien, quant à elle, à été régulièrement montrée du doigt pour des bavures contre des civils lors de raids aériens. Le 23 août dernier, ses avions ont bombardé un hôtel de Sanaa et des points de contrôles tenus par les Houthis, faisant de nombreuses victimes parmi les civils, dont au moins 5 enfants – le plus jeune avait seulement 3 ans.

    Au lendemain de ces attaques meurtrières, le Comité international de la Croix-Rouge (CICR) a réitéré son appel à toutes les parties au conflit à respecter le droit de la guerre et à épargner les populations civiles.

    Pression sur l'Arabie Saoudite

    Depuis mars 2015, le Bureau des droits de l’homme de l’ONU a documenté 13'829 victimes civiles, dont 5110 personnes tuées et 8719 blessées. Le nombre total est probablement beaucoup plus élevé. La guerre qui ravage le Yémen depuis trois ans a provoqué la pire crise humanitaire de la planète, selon l’ONU. Le conflit oppose des rebelles, soutenus par l’Iran, qui contrôlent la capitale, Sanaa, et le nord du Yémen aux forces progouvernementales regroupées dans le sud et appuyées par une coalition militaire dirigée par l’Arabie saoudite.

    Selon John Fisher, directeur du bureau HRW de Genève, les pays membres du Conseil des droits de l’homme de l’ONU devraient «être à la hauteur de leur mandat» et «mettre en place un organe» indépendant pour mettre fin à «l’impunité qui a été l’aspect central de la guerre au Yémen».

    La question de la création d’une commission d’enquête indépendante sera soulevée lors des prochains travaux du Conseil des droits de l’homme, qui doivent s’ouvrir le 11 septembre prochain à Genève. Pour «arracher» la création de cette commission d’enquête internationale, la pression mise sur l’Arabie saoudite, membre de ce même Conseil, sera plus forte que jamais.

     


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  • la Cour de Strasbourg

    Le bruit métallique des tampons apposés aux courriers rythme le travail du centre postal de la Cour européenne des droits de l’homme (CEDH). Ce mercredi, l’institution basée à Strasbourg a reçu 600 lettres. «Une petite journée», précise une responsable en empoignant une missive écrite en roumain. Ces courriers proviennent de citoyens des 47 pays membres du Conseil de l’Europe. S’y ajoutent des fax, en particulier ceux demandant des mesures provisoires et urgentes – la plupart du temps, la suspension d’une procédure de renvoi d’un migrant. Aujourd’hui, cette institution est dans la tourmente. En Suisse, elle est menacée par l’initiative UDC voulant donner la primauté au droit national. Et à l’étranger, les crises sécuritaires la mettent sous pression.

    Demandes en hausse

    Au niveau international, cette cour est la seule à laquelle tout individu peut s’adresser. Et ils sont nombreux à utiliser ce filet de sécurité visant à garantir les libertés fondamentales. En 2016, 53 500 requêtes sont parvenues à Strasbourg. «L’augmentation est massive, souligne Rémy Allmendinger, greffier. Nous sommes passés de 10'500 requêtes en 2000 à 65'800 en 2013.»

    Des réformes ont été entamées pour rendre l’organisation plus efficace – un processus dans lequel la Suisse a été très active. Mais en 2016, le nombre de requêtes est reparti à la hausse en raison de la situation en Ukraine et en Turquie. Cette dernière augmentation est qualifiée de «dramatique», par la juge suisse à la Cour, Helen Keller. Notre pays, lui, ne représente que 0,28% des affaires pendantes. «Mais il contribue davantage à la jurisprudence car il apporte des questions nouvelles», ajoute Rémy Allmendinger.

    Le travail des juges

    Quelle est l’influence de cette institution? Le 14 juin, la Grande Chambre s’est par exemple penchée sur un cas concernant la Suisse. Il s’agit d’un homme originaire de Tunisie, naturalisé suisse et domicilié à Versoix, qui a été torturé dans son pays d’origine. Ne pouvant y retourner, il a tenté d’obtenir réparation chez nous. Sans succès: les juges helvétiques ont considéré qu’ils n’étaient pas compétents. Le plaignant reproche à la Confédération de ne pas lui garantir un accès à un tribunal.

    L’arrêt, qui ne sera pas rendu avant plusieurs mois, sera important. Il faut dire que le jugement ne concernera pas uniquement la Suisse. «Si les magistrats donnent raison au plaignant, des victimes de la torture pourront demander une telle réparation dans un autre pays que le leur», résume Johan Callewaert, greffier adjoint de la Grande Chambre.

    L’influence sur la Suisse

    La Convention européenne des droits de l’homme a beaucoup influencé le droit suisse. Pour la ratifier, en 1974, il a déjà fallu accorder le droit de vote aux femmes. Par la suite, un catalogue de droits fondamentaux a été dressé dans la révision de la Constitution fédérale de 1999. Il est largement inspiré par la CEDH et sa jurisprudence. Cette juridiction a aussi un effet préventif: les magistrats helvétiques en tiennent compte dans leurs jugements et la Confédération dans l’élaboration des lois.

    Le droit des étrangers

    Dans notre pays, les décisions liées au droit des étrangers sont celles qui font le plus parler d’elles. L’affaire Tarakhel, notamment, a suscité l’ire de l’UDC. En novembre 2014, la Grande Chambre de la CEDH a condamné la Suisse, qui avait décidé d’expulser une famille afghane avec ses enfants vers l’Italie, en vertu du règlement Dublin. La Cour lui reprochait de ne pas avoir obtenu de Rome la garantie d’une prise en charge adaptée des mineurs. Les partisans de la CEDH insistent sur le fait que les cas concernant les migrants ne représentent qu’une minorité des jugements concernant la Suisse. La majorité des condamnations portent sur le droit à un procès équitable.

    Trop de pouvoirs?

    En Suisse, la principale menace vient de l’initiative UDC contre les juges étrangers. Mais dans ce système, la Suisse n’est qu’une petite pièce et la Cour n’est pas seulement remise en question dans notre pays. Les Etats parties lui reprochent son interprétation dynamique de la Convention, qui a permis de se pencher sur des questions nouvelles, comme l’assistance au suicide, la procréation médicalement assistée ou encore le changement de sexe.

    En 2015, le Parlement russe a adopté une loi autorisant à ne pas appliquer certaines de ses décisions. Le même type de menace a été brandi en Grande-Bretagne. L’an dernier, Theresa May estimait même que son pays devrait abandonner la CEDH. Un tel départ, s’inquiète Helen Keller, pourrait avoir «un effet domino».

    La Suisse vue de Strasbourg

    Dans cet ensemble, la Suisse est perçue comme un bon élève. Les droits humains y sont comparativement bien protégés et c’est peut-être aussi pour cela que les Suisses ne perçoivent pas l’intérêt d’une garantie internationale, estime la juge Keller. A Strasbourg, l’initiative UDC a surpris. Une chose est sûre, un vote helvétique contre la CEDH serait un bien mauvais signal pour l’institution. «L’avenir de la Convention est lié à la solidarité et au soutien de pays comme le nôtre», plaide Helen Keller. Avec 31 professeurs de droit de l’Université de Zurich, elle a signé l’an dernier un article contre l’initiative UDC, et a déjà exprimé des doutes sur sa validité.

    Développements autoritaires

    Aujourd’hui, le soutien de la Suisse à la Cour de Strasbourg est d’autant plus important que les développements autoritaires constatés dans plusieurs pays «mettent à mal la protection des droits humains», souligne Helen Keller. Plusieurs Etats ont pris des mesures d’exception pour lutter contre le terrorisme, la Russie a annexé la Crimée… Et Ankara songe à rétablir la peine de mort, interdite par la Convention. «Il y a dix ans, une telle décision n’aurait pas été envisageable: c’était la ligne rouge, poursuit la magistrate. Aujourd’hui, ce n’est plus aussi clair.»

    La Turquie serait-elle exclue du système si elle concrétisait ses menaces? Cette décision serait politique, et non juridique. Mais le départ d’un Etat aurait une autre conséquence: celle d’empêcher les populations de saisir Strasbourg. «Une mère tchétchène qui n’a pas vu son fils pendant seize ans parce qu’il a été enlevé et qui reçoit une indemnité a un sentiment de justice», souligne la juge.

    Non-respect des décisions

    A l’heure du bilan, la professeure Keller est pessimiste. Elle tance encore les membres qui font l’objet du plus grand nombre de plaintes: «La moitié des cas provenant de ces pays sont répétitifs. Si ceux-ci respectaient nos décisions, nous aurions beaucoup moins de travail. Le problème est que cela nous laisse moins de temps pour nous pencher sur les questions nouvelles.»


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  • Une plainte contre l’esclavage en Mauritanie

    Bien qu’aboli, l’esclavage continue d’exister en Mauritanie, dénonce une ONG qui dépose une plainte auprès de la rapporteuse de l’ONU sur l’esclavage et de la commission juridique de l’Union africaine.

    Biram Dah Abeid poursuit son combat contre l’esclavage en Mauritanie. Le militant, plusieurs fois condamné et emprisonné, était jeudi 22 juin au parlement européen à Bruxelles. Son ONG, non reconnue par les autorités mauritaniennes, L’initiative pour la résurgence du mouvement abolitionniste (IRA), a adressé une plainte pour dénoncer l’esclavage et la torture en Mauritanie à la rapporteuse spéciale des Nations unies pour les formes modernes d’esclavage et à la commission juridique de l’Union africaine, a révélé RFI dans son journal Afrique.

    La Mauritanie a été l’un des derniers pays de la planète à abolir l’esclavage en 1981. La pratique n’y est criminalisée que depuis 2007 et une nouvelle loi en 2015 en a durci la lutte. La rapporteuse de l’ONU Urmila Bhoola a souligné à Nouakchott en avril dernier que la Mauritanie avait accompli des progrès « dans le combat contre l’esclavage et ses causes et conséquences ». Elle présentera ses conclusions au conseil des droits de l’homme de l’ONU en septembre prochain.

    La mort sociale de milliers de personnes

    En 2010, sa prédécesseure Gulnara Shahinian avait conclu à « l’existence de fait de l’esclavage en Mauritanie », le qualifiant de « processus lent et invisible aboutissant à la mort sociale de milliers d’hommes et de femmes ».

    Pour l’avocat Brahim Ould Ebety, les progrès dans la lutte sont beaucoup trop lents « parce que la justice fonctionne toujours avec beaucoup d’hésitations sous la pression ». « Pour le gouvernement, ajoute-t-il, l’esclavage est un crime contre l’humanité, mais il n’existe plus, ce sont les séquelles de l’esclavage passé qu’il faut régler. Or, l’esclavage est bel et bien toujours là. » Une situation qui rend d’autant plus difficile l’évaluation du problème. Les ONG évoquent plusieurs milliers de victimes encore réduites à l’état d’esclaves. Le « Global slavery index » avait estimé en 2016 leur nombre à 43 000 dans le pays.

    L’esclavage persiste en raison de l’extrême pauvreté

    « Les conditions de misère font que des personnes nées esclaves le restent de fait, sous la contrainte ou parce qu’elles-mêmes sont trop démunies pour quitter leur ancien maître, et ce d’autant plus qu’elles vivent dans des régions reculées du pays », ajoute Brahim Ould Ebety. Selon les dernières données des autorités mauritaniennes, la pauvreté touchait 31 % de la population en 2014, les trois quarts vivant en milieu rural. L’extrême pauvreté frappait 17 % d’entre elles.

    L’esclavage reste un thème hautement sensible et tabou en Mauritanie. La juriste Marie Foray et la journaliste Tiphaine Gosse qui menaient une enquête sur le sujet et étaient en lien avec l’Ira ont été expulsées du pays en avril dernier.


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  • Pétrole, Pétrole

    Le gouvernement d'union nationale libyen (GNA), reconnu par la communauté internationale, soutenu par l'Onu mais qui ne contrôle même pas Tripoli, a annoncé avoir déclaré la guerre à la contrebande des hydrocarbures, un fléau qui mine l'économie de ce pays pétrolier en proie à l'insécurité et au chaos.

    Les forces loyales au gouvernement libyen d'union nationale (GNA) ont gagné du terrain à Tripoli en chassant le mois dernier des groupes rivaux de leurs fiefs, au prix de violents combats qui ont paralysé la ville.
    La capitale libyenne, en proie à une insécurité chronique depuis la chute de Mouammar Kadhafi en 2011, est sous la coupe de dizaines de milices. Le GNA, soutenu par les Nations unies, a gagné le ralliement de certaines d'entre elles depuis son entrée en fonction en mars 2016 mais plusieurs secteurs de Tripoli sont toujours hors de son contrôle.

    A moins d'un euro les 20 litres à la pompe, le carburant, fortement subventionné par l'Etat, coûte moins cher en Libye que l'eau minérale, faisant de la contrebande vers des pays voisins un trafic très lucratif.

    Il est acheminé par les trafiquants en camion-citernes vers les pays frontaliers comme la Tunisie à l'ouest ou vers le Niger, le Tchad et le Soudan (sud) et par bateaux vers les côtes européennes, notamment vers Malte.

    "L'opération, lancée sur instruction du GNA, ne cessera tant qu'elle n'a pas atteint ses objectifs et présenté les criminels à la justice", a déclaré Milad al-Hejrissi, président d'un "Comité de crise du carburant et du gaz".

    L'opération baptisée "tempête de la Méditerranée" vise à "lutter contre le trafic de carburants qui sévit au large des côtes libyennes", a indiqué l'agence de presse libyenne (LANA) citant ce responsable.

    Des dizaines d'embarcations ont été arraisonnées et leurs équipages sont interrogés, a-t-il précisé.

    "Il s'agit de traquer et d'appréhender ces gangs qui exploitent le subventionnement de carburants importés pour les vendre illégalement dans d'autres pays", a-t-il indiqué, annonçant une prochaine opération qui visera "tous ceux qui ont trahi le peuple libyen".

    De grandes quantités de carburant ont été également saisies ces derniers jours près des frontières avec la Tunisie, dont la région sud vit essentiellement du trafic transfrontalier.

    Sont visés par l'opération du GNA les sociétés de distribution, les gérants des stations services, même "certains responsables de Brega Oil", principale compagnie publique de distribution qui commercialise les dérivés du pétrole dans le pays, a expliqué M. Hejrissi

    Déchirée par des luttes de pouvoir et en proie à une insécurité chronique depuis la chute du régime de Mouammar Kadhafi en 2011, la Libye est dirigée par deux autorités rivales: le GNA à Tripoli et un gouvernement basé dans l'est du pays.

    D'importantes zones demeurent hors du contrôle du GNA où des milices incontrôlables profitent du chaos pour monter des réseaux de trafics en tout genre: immigration clandestine, carburant, drogue et armes.


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  • La justice va trancher sur le port du voile au travail

    La Cour de justice européenne va donner son avis sur l'interdiction du foulard islamique au travail, en réponse à deux cas en France et en Belgique.

    La Cour européenne de justice La Cour de justice européenne (CJUE) se penche sur deux cas de licenciement dû au port, soudain ou non, du voile islamique dans le contexte d'un travail au Luxembourg et en France.

    Les deux magistrates doivent répondre aux interrogations des plus hautes autorités judiciaires française et belge, saisies chacune dans leur pays des situations - sensiblement différentes - de femmes musulmanes qui estiment avoir été discriminées sur leur lieu de travail en raison de leur religion.

    In fine, il appartiendra aux plus hauts juges français et belges, dans deux Etats historiquement attachés aux principes de laïcité et de neutralité, de trancher légalement les litiges en question.

    La question du port du foulard islamique reste complexe dans l'UE, où les opinions et les pratiques sont très variées, un constat fait par les deux avocates générales dans ces dossiers qui sont parvenues à des conclusions qui peuvent paraître en contradiction.

    Discrimination illicite

    L'une évoque clairement une discrimination illicite tandis que l'autre laisse la porte ouverte à la justification d'une restriction liée à une «politique de neutralité» mise en place par l'entreprise.

    Le rôle de ces deux magistrates est de présenter un «avis juridique» qui ne lie absolument pas les juges quant à leur décision finale.

    Dans le cas belge, une jeune femme de confession musulmane, Samira Achbita, ne portait pas le foulard au moment de son embauche comme réceptionniste en 2003 par le groupe G4S, qui fournit des services de surveillance et de sécurité.

    Cependant, trois ans plus tard, Samira Achbita fait part à son employeur de sa décision de porter le foulard, malgré la politique de neutralité affichée d'abord oralement, puis par écrit, par l'entreprise qui interdit le port de signes politiques, philosophiques ou religieux.

    Libertés en conflit

    La seconde affaire, en France, est relative au licenciement d'une femme musulmane, employée comme ingénieure d'étude par la société française Micropole, qui portait le foulard au moment de son embauche en 2008.

    Mais lors d'un rendez-vous avec un client, ce dernier s'était plaint et avait exigé qu'il n'y ait «pas de voile la prochaine fois».

    Micropole avait transmis cette requête à son employée qui a refusé. Elle a été licenciée en juin 2009.

    Il existe deux types de discrimination en matière d'emploi, directe ou indirecte. Et la justice doit prendre en compte deux libertés potentiellement en conflit: celle d'adhérer à une religion et de le manifester, et celle de la liberté d'entreprise.

    Discriminations directe et indirecte

    La discrimination directe relève de l'égalité de traitement, et ne peut trouver d'exception que pour cause d'«exigence professionnelle essentielle et déterminante», avec un «objectif légitime et proportionnée», comme l'interdiction de porter certains signes religieux pour des questions de sécurité.

    La discrimination indirecte peut, elle, dépendre d'une politique de «neutralité» affichée par l'entreprise, et doit aussi répondre à un principe de proportionnalité dans l'application des exceptions.

    Dans l'affaire de Micropole, l'avocate générale Eleanor Sharpston estime qu'imposer d'ôter le foulard pour un rendez-vous avec un client est clairement une discrimination, car son foulard ne l'empêchait en aucun cas d'exercer son métier d'ingénieure d'études.

    Dans le cas de G4S, l'avocate générale Juliane Kokott considère en revanche que l'exercice du métier de réceptionniste peut exiger le respect d'un cadre vestimentaire et que l'entreprise peut opter pour une image de stricte neutralité, ce qui répond au critère d'exigence professionnelle.

    En cas de discrimination indirecte, il revient alors à la juridiction nationale de juger de la proportionnalité dans l'application d'exceptions, observe Mme Kokott.  


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