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Désordre, insultes, menaces, hyperfluidité
Ce n’est pas un hasard si les reconstructions majeures du droit international se sont toujours faites au lendemain de grandes guerres. Car alors chacun, vidé de ses forces, rêvait d’un ordre lui permettant de renaître sans crainte pour sa sécurité.
Ainsi, après 1945, tout le monde a trouvé la construction de l’ONU géniale, fringante et particulièrement efficace puisqu’elle prenait en compte les forces réelles en présence à ce moment-là, d’où le droit de veto, au Conseil de sécurité, des Etats-Unis et de l’URSS notamment. Chaque pays sut dès lors ce qu’il avait le droit de faire et les risques qu’il courait s’il déviait de cette route tracée avec l’accord de tous.
Hélas, depuis la fin du monde bipolaire soviético-américain, les Etats se sont mis à sortir sans arrêt de ladite route, comme hier en ex-Yougoslavie ou aujourd’hui en Crimée. Les bons vieux principes du droit international ne sont plus vraiment respectés. Désormais, tout est désordre, hyperfluidité, incertitude permanente, échanges d’insultes et de menaces. Le monde est redevenu dangereux.
Suffit-il, pour remédier à cette dangerosité, de s’indigner, d’inonder les instances internationales de discours moralisateurs pointant toujours les autres du doigt? Une telle hypocrisie ne saurait suffire. Mais alors quoi? En pure logique, il paraîtrait urgent, pour retrouver un apaisement universel, de remettre tous les compteurs à zéro, de telle manière que tous les pays de la planète puissent négocier un nouvel ordre et de nouvelles règles planétaires convenant à tous.
Mais il y a un problème: c’est que si la logique est une chose, la vie réelle en est une autre, mille fois plus difficile à gérer, manier et reconstruire. Si l’on considère la pagaille actuelle, une telle négociation, si elle s’engageait, pourrait durer facilement mille ans! En outre, il tombe sous le sens que, plus qu’une négociation de bonne foi, elle serait une lutte de puissances, d’influences, de défis, de menaces… Bref, exactement ce qui se passe aujourd’hui!
C’est pourquoi, tout bien pesé, j’en conclus qu’il vaut mieux s’accrocher autant que faire se peut à l’ordre international figurant dans les textes actuels, tout en sachant que cet ordre ne s’applique plus que très partiellement hélas, tant sont nombreux ceux qui s’en moquent ou s’en quasi moquent. Surtout, il faut éviter de sortir chars, avions et missiles de leurs hangars respectifs… Un monde très imparfait valant, malgré tout, infiniment mieux qu’un monde en guerre généralisée.
de Chaix (La tribune de Genève)
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