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Devant la « folie » des guerres, le pape François invite à réapprendre « à pleurer
Dans une brève mais forte homélie prononcée au cimetière militaire de Redipuglia, le pape a de nouveau cherché à réveiller les consciences face à « la guerre (qui) défigure tout, même le lien entre frères ».
« Que m’importe ? » Cette question de Caïn dans la Genèse après la mort de son frère Abel jalonne l’homélie que le pape François a livrée ce samedi matin 13 septembre au pied des marches imposantes du sanctuaire de Redipuglia, au nord-est de l’Italie.
Venu dans ce vaste cimetière militaire où reposent plus de 100 000 morts de la Première Guerre mondiale, dont cette année marque le centenaire du déclenchement, le pape a opposé la « folie » des guerres actuelles et passées à l’indifférence qu’elle engendre pour l’humanité. Il avait déjà médité à partir de l’attitude de Caïn lors de la veillée de prière pour la paix en Syrie, il y a un an, place Saint-Pierre.
« La guerre ne regarde personne en face »
« La guerre est une folie », a d’emblée déclaré le pape, opposant la quiétude du paysage environnant, trempé ce matin là par la pluie, à l’œuvre de « destruction » des conflits. « La guerre ne regarde personne en face : personnes âgées, enfants, mamans, papas,.. », a-t-il poursuivi, insistant devant une foule de dizaines de milliers de personnes protégées sous leur parapluie, sur cet aveuglement qu’entraînent les conflits meurtriers : « La guerre défigure tout, même le lien entre frères ».
Lors de sa conférence de presse dans le vol retour de Séoul le 18 août dernier, Jorge Bergoglio s’était déjà inquiété des destructions en masse que les guerres « non conventionnelles » ont entraînées. Et continuent de faire, selon lui : « Aujourd’hui encore, (..) on peut, peut-être, parler d’une troisième guerre combattue ‘par morceaux’, avec des crimes, des massacres, des destructions », a-t-il répété hier, se référant de nouveau à une sorte de troisième conflit mondial masqué par son caractère dispersé et du coup sournoisement aidé par l’indifférence qu’il suscite.
La Une des journaux
« Pour être honnête, la première page des journaux devrait avoir comme titre : ‘Que m’importe ? », a poursuivi en ce sens le pape dans son homélie. Toujours lors de sa conférence de presse du 18 août dernier, il avait invité la profession à mieux percevoir et à s’interroger davantage sur la cruauté actuelle.
« Les affairistes de la guerre »
Autre secteur visé, l’industrie de l’armement. Son texte, au ton très personnel et dont il ne s’est pas écarté, s’en est pris en particulier aux « marchands d’armes », cible de précédentes dénonciations du pape argentin : « Aujourd’hui encore, dans les coulisses, il y a des intérêts, des plans géopolitiques, l’avidité de l’argent et du pouvoir, et il y a l’industrie des armes, qui semble être tellement importante ! »
Pour le pape, « les affairistes de la guerre » ont perdu « la capacité de pleurer ». Celui qui, lors de son tout premier et spectaculaire déplacement à Lampedusa auprès des migrants, en juillet 2013, s’était inquiété de la « mondialisation de l’indifférence », a conclu son homélie sur ce « besoin de pleurer » que lui-même ne cache jamais avoir. « C’est maintenant l’heure des larmes » furent les derniers mots de son homélie.
« Merci d’avoir secoué notre indifférence », lui a répondu l’évêque aux armées pour l’Italie, Mgr Santo Marciano, après la messe à la fin de laquelle le pape François a remis à chacun des évêques et aumôniers militaires présents une lampe. Elles doivent être allumées lors d’autres célébrations en mémoire des victimes des guerres.
Celles-ci génèrent au final un « massacre inutile » a déclaré le pape François, réactualisant une formule-choc employée par son lointain prédécesseur, Benoît XV, en 1917, en pleine Première guerre mondiale.
Tonalité européenne et recueillement
Le centenaire de ce conflit dévastateur, dont Redipuglia garde la mémoire, a imprimé à la célébration une tonalité militaire, marquée par la présence de fanions, uniformes et la fanfare. Tonalité européenne aussi par la présence des archevêques de Vienne, le cardinal Christoph Schonbörn, de Zagreb, Mgr Josip Bonzanic, et d’autres prélats des pays voisins venus pour cette messe célébrée tout près de la frontière italienne avec la Slovénie.
Mais l’heure était par-dessus tout à la sobriété. Ce fut une messe sans gloria. Sans bain de foule avant son commencement. Le pape Bergoglio a gardé un visage grave et recueilli, même ému par moments, qui ne s’est détendu qu’une fois la messe achevée lors des salutations. Il devait regagner le Vatican en tout début d’après-midi.
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Voici le texte de l'homélie:
Après avoir contemplé la beauté du paysage de toute cette région, où des hommes et des femmes travaillent en conduisant leur famille, où les enfants jouent et où les personnes âgées rêvent… me trouvant ici, en ce lieu, je trouve seulement à dire: la guerre est une folie.
Alors que Dieu dirige sa création, et que nous les hommes, nous sommes appelés à collaborer à son œuvre, la guerre détruit. Elle détruit aussi ce que Dieu a créé de plus beau : l’être humain. La guerre défigure tout, même le lien entre frères.
La guerre ne regarde personne en face
La guerre est folle, son plan de développement est la destruction : vouloir se développer au moyen de la destruction ! La cupidité, l’intolérance, l’ambition du pouvoir… sont des motifs qui poussent à décider de faire la guerre, et ces motifs sont souvent justifiés par une idéologie ; mais d’abord il y a la passion, il y a une impulsion déformée. L’idéologie est une justification ; et quand il n’y a pas d’idéologie, il y a la réponse de Caïn : « Que m’importe ? », « Suis-je le gardien de mon frère ? » (Gn 4,9).
La guerre ne regarde personne en face: personnes âgées, enfants, mamans, papas… « Que m’importe? ». Au dessus de l’entrée de ce cimetière, flotte la devise narquoise de la guerre : « Que m’importe? ». Toutes ces personnes, dont les restes reposent ici, avaient leurs projets, leurs rêves… ; mais leurs vie ont été brisées. L’humanité a dit : « Que m’importe? »
Une troisième guerre combattue « par morceaux »
Aujourd’hui encore, après le deuxième échec d’une autre guerre mondiale, on peut, peut-être, parler d’une troisième guerre combattue « par morceaux », avec des crimes, des massacres, des destructions…
Pour être honnête, la première page des journaux devrait avoir comme titre : « Que m’importe? » . Caïn dirait : « Suis-je le gardien de mon frère ? ». Cette attitude est exactement à l’opposé de ce que demande Jésus dans l’Évangile. Nous l’avons entendu : il est dans le plus petit de ses frères : lui, le Roi, le Juge du monde, il est l’affamé, l’assoiffé, l’étranger, le malade, le prisonnier… Celui qui prend soin du frère entre dans la joie du Seigneur ; celui qui, en revanche, ne le fait pas, qui par ses omissions dit : « Que m’importe? », reste dehors.
Ici, il y a beaucoup de victimes. Nous les rappelons aujourd’hui. Il y a les pleurs, il y a la douleur. Et d’ici nous rappelons toutes les victimes de toutes les guerres. Aujourd’hui encore les victimes sont nombreuses… Comment cela est-il possible ? C’est possible parce que, aujourd’hui encore, dans les coulisses, il y a des intérêts, des plans géopolitiques, l’avidité de l’argent et du pouvoir, et il y a l’industrie des armes, qui semble être tellement importante !
C’est le propre des sages de demander pardon
Et ces planificateurs de la terreur, ces organisateurs de l’affrontement, comme également les marchands d’armes, ont écrit dans leurs cœurs : « Que m’importe? ». C’est le propre des sages, que de reconnaître leurs erreurs, d’en éprouver de la douleur, de les regretter, de demander pardon et de pleurer.
Avec ce « Que m’importe? » qu’ont dans le cœur les affairistes de la guerre, peut être gagnent-ils beaucoup, mais leur cœur corrompu a perdu la capacité de pleurer. Ce « Que m’importe ? » empêche de pleurer. Caïn n’a pas pleuré. L’ombre de Caïn nous recouvre aujourd’hui, dans ce cimetière. On le voit ici. On le voit dans l’histoire qui va de 1914 jusqu’à nos jours. Et on le voit aussi de nos jours.
L’heure des larmes
Avec un cœur de fils, de frère, de père, je vous demande à vous tous, et pour nous tous, la conversion du cœur : passer de ce « Que m’importe ? », aux larmes. Pour tous ceux qui sont tombés dans l’« hécatombe inutile », pour toutes les victimes de la folie de la guerre, en tout temps. L’humanité a besoin de pleurer, et c’est maintenant l’heure des larmes.
Amen
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