• Juan Carlos, le roi de la transition démocratique

    Juan Carlos, le roi de la transition démocratique

    Monté sur le trône à la mort de Francisco Franco en novembre 1975, il a mené l’Espagne à la démocratie.

    À 76 ans, Juan Carlos avait vu baisser sa popularité, alors que l’Espagne s’enfonçait dans la crise et que le roi s’éloignait du pays.

    Lorsque don Juan Carlos de Borbón y Borbón naît en exil, à Rome, le 5 janvier 1938, rien n’indique qu’il est destiné à devenir roi d’Espagne. Sa nouvelle vie commence dès ses dix ans, lorsqu’il part de Lisbonne, où ses parents avaient finalement trouvé refuge. Direction : Madrid, où le dictateur Franco allait devenir l’homme qui le nommerait son successeur, et permettrait indirectement la transition démocratique. Ce jour, que don Juan Carlos, alors âgé de 31 ans, attend probablement depuis longtemps, arrive finalement le 22 juillet 1969, lorsque le Caudillo le nomme son successeur, « à titre de roi ».

    La méfiance du pays

    Sur le plan politique, les obstacles restent immenses. Car l’image que don Juan Carlos évoque dans la population espagnole et les opposants, beaucoup en exils, est loin d’être brillante. « Je le voyais comme une créature de Franco, il était venu petit à Madrid et s’était éduqué sous le contrôle du Caudillo ; je crois que pas seulement moi, mais tous les anti-franquistes, pensaient que Franco l’avait nommé pour maintenir la dictature ; je l’ai appelé le roi bref au cours d’un meeting parce qu’une monarchie qui prétendrait continuer ce régime n’aurait pas pu durer », se souvenait Santiago Carillo, secrétaire général du Parti Communiste espagnol, en exil à Paris sous le franquisme, aujourd’hui décédé (en 2012).

    La méfiance ne venait pas seulement de l’opposition républicaine. « Les monarchistes étaient en faveur de son père ; le régime franquiste n’était pas monarchique et le peuple espagnol était indifférent ; en réalité, les franquistes du régime pensaient le convertir simplement en une décoration ; à cette époque, la question récurrente était la suivante : après Franco, que se passe-t-il ? Et la réponse n’était autre que celle des institutions, autrement dit là où se concentrait le pouvoir franquiste », rappelle Victoria Prego, journaliste spécialiste de la transition.

    « Une personne capable d’ouvrir les portes »

    La restauration de la monarchie était en fait intimement et nécessairement liée à l’avènement de la démocratie. Il fallait juste que le monarque espagnol réussisse à convaincre ses opposants de sa bonne volonté, quitte à les surprendre. « Nous cherchions effectivement une personne capable d’ouvrir les portes mais jamais nous n’aurions imaginé que cet allié pouvait être le roi en personne », raconte Santiago Carillo.

    Outre son flair politique et sa persévérance, don Juan Carlos avait surtout « les idées claires » sur ce qu’il voulait faire. « Il était conscient que la démocratie constituait un chemin non seulement raisonnable mais aussi utile pour que la monarchie puisse durer ; la transition n’a pu être possible que parce que la gauche a accepté la démocratie, et la monarchie la démocratie », assure Gregorio Peces-Barba, l’un des rédacteurs de la Constitution de 1978.

    Echec au colonel Tejero

    Le 23 février 1981, don Juan Carlos a changé le cours de l’histoire. « La nuit de la tentative du coup d’État, don Juan Carlos a cessé d’être pour des millions d’Espagnols l’homme qui avait succédé à Franco à « titre de roi » pour simplement se convertir en roi d’Espagne », écrit José Luis de Vilallonga dans ses « Conversations avec le roi ». Le communiste Santiago Carillo était présent dans l’hémicycle ce soir-là lorsque le lieutenant-colonel Tejero débarque au Congrès des Députés. « J’ai tout de suite pensé que l’unique personne qui pouvait faire échouer cette tentative était le roi. »

    Don Juan Carlos passera la nuit au téléphone pour convaincre un à un les putschistes et ceux tentés de les rejoindre. « Les militaires m’ont obéi non seulement parce que j’étais l’un des leurs mais aussi parce que j’étais le chef suprême des Forces armées. Sinon, quelle autorité aurais-je pu avoir sur des hommes, qui dans leur grande majorité, croyaient en toute bonne foi que l’Espagne allait au naufrage et étaient prêts à se lancer dans cette spirale de violence, piège que leur tendaient les terroristes de l’ETA ? », explique Juan Carlos à José Luis de Vilallonga.

    Certaines voix se sont pourtant élevées en Espagne pour insinuer que don Juan Carlos aurait pu être au courant de ce coup d’État. Santiago Carillo nuance : « À une époque difficile, il avait peut-être montré aux militaires qu’il n’était plus autant en accord avec Adolfo Suarez ; mais les putschistes se sont trompés s’ils pensaient que don Juan Carlos allait les suivre dans cette aventure. »

    Les larmes du 11 mars 2004

    Aujourd’hui, la transition démocratique et le coup d’Etat appartiennent au passé. Mais les Espagnols sont-ils monarchistes ? Probablement, jusqu’à une époque récente, étaient-ils avant tout « juancarlistes », autrement dit davantage attachés à la personne de don Juan Carlos qu’à la monarchie en elle-même. « Nous lui devons beaucoup, nous nous en sommes sortis avec lui, personne n’a envie de lui chercher des histoires, c’est un choix volontaire », observe Victoria Prego pour qui la monarchie sert de clé de voûte. La journaliste Carmen Enriquez qui a suivi la famille royale pour la télévision publique entre 1990 et 2007, se souvient de cette époque où « l’on reconnaissait son rôle dans la transition, il recueillait prix, récompenses en cascade et acquérait son prestige à l’international ».

    Si cette famille n’apparaissait pas totalement anachronique en Espagne, c’est sans doute grâce aussi comportement de la famille royale. Même si des scandales ont éclaté en fin de règne, la dignité, à laquelle tient beaucoup le roi, n’a jamais empêché la simplicité et la proximité envers le peuple espagnol. On se souvient encore de la famille royale, les larmes aux yeux, brisant le protocole lors des funérailles des victimes des attentats du 11 mars 2004, allant consoler et serrer une à une les mains de chaque personne.

    Un roi rassembleur

    « La capacité du Roi à être informé de tout m’a toujours impressionnée ; il a une grande intelligence intuitive et parvient à créer une empathie même avec ses ennemis, à mettre à l’aise ses hôtes ; et il a aussi beaucoup d’humour », assure Carmen Enriquez qui raconte que le Roi peut tout aussi bien discuter du niveau des retraites avec des personnes âgées lors d’un de ses voyages près de Lérida, que de jouer au football quelques instants avec les enfants du village.

    Le Roi sait aussi faire preuve de tact : invité pour la première fois à la Zarzuela, où habite la famille royale, pour la Saint Juan, le communiste Santiago Carillo apprend que le frac est obligatoire et refuse donc de s’y rendre. Il ne faudra pas cinq minutes pour que la maison royale le rappelle et lui précise que finalement, il peut venir habillé comme bon il lui semble. L’intervention du roi ne faisait pas de doute. « C’est un homme suffisamment intelligent et fin pour se rendre compte qu’un député communiste ne pouvait décidément pas s’affubler ainsi », se souvient Carillo.

    Un fin de règne marquée par la crise et des scandales

    La fin de son règne a cependant été marquée par des ennuis de santé, et surtout des scandales. Alors que l’Espagne s’enfonçait dans une des plus graves crises de son histoire, le roi Juan Carlos s’éloignait du pays, courant le monde pour ses chasses au gros gibier, et menant un train de vie de plus en plus mondain, en compagnie de personnalités de la jet-set internationale.

    Aussi, de nombreuses interrogations subsistent sur la monarchie espagnole et sur l’avenir de son fils Felipe. La continuité de la monarchie dépendra de la capacité du prince à se faire autant apprécier que son père. Les plus importants détracteurs sont sans doute les Catalans. Il y a quelques années, ils écartaient encore l’idée d’un référendum pour décider de la poursuite ou non de la monarchie.

    Mais Joan Puigcercós, alors président du parti indépendantiste catalan ERC disait déjà :« Le rôle de la famille royale ira décroissant. » Aujourd’hui, les Catalans comptent organiser un référendum pour leur indépendance cette année, et la question de la monarchie est passée au second plan à leurs yeux. Comme à ceux de beaucoup d’Espagnols, plus préoccupés de leur vie quotidienne que d’un roi, autrefois très aimé, qui a aujourd’hui fait son temps.

      (La Croix)

     


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