• L’ancien Premier ministre kosovar Ramush Haradinaj arrêté en France

    L’ancien Premier ministre kosovar Ramush Haradinaj, réclamé par la justice serbe pour crimes de guerre a été arrêté en France.

    Ramush Haradinaj, 48 ans, ancien chef de guerre et Premier ministre kosovar a passé la nuit de jeudi à vendredi dans une cellule française. Le tribunal de Colmar a ordonné sa mise en détention provisoire en attendant d’examiner une requête officielle d’extradition de la Serbie. Du côté kosovar, les responsables politiques crient à la persécution d’un héros national. Côté serbe, le Premier ministre réclame la justice contre un criminel de guerre.

    Après s’être réfugié en Suisse au début des années 1990, Ramush Haradinaj est retourné au Kosovo en 1997 et a pris la tête d’une unité de l’Armée de Libération du Kosovo (UÇK). Belgrade l’accuse de crimes de guerre durant cette période, notamment de la torture et de l’assassinat de plusieurs dizaines de Serbes, Kosovars et Roms. Il a été arrêté par la police française à l’aéroport de Bâle-Mulhouse sur la base d’un mandat émis en 2004.

    Déjà acquitté deux fois

    En 2015 déjà, il avait été arrêté en Slovénie mais la justice avait refusé son extradition, la jugeant motivée par des raisons politiques. Autre argument de poids: il a déjà été acquitté deux fois par le Tribunal pénal international pour l’Ex-Yougoslavie des crimes dont il est accusé et est sorti libre en 2012.

    Pour Milica Kostic, directrice des programmes du Centre pour le Droit Humanitaire, une ONG Belgradoise spécialisée dans la question des crimes de guerre commis dans les Balkans, Belgrade a «encore fait preuve d’imprudence». «Il est décevant de voir que la Serbie continue de s’accrocher à ces mandats d’arrêt alors qu’aucun responsable serbe de haut-rang n’a été traduit en justice depuis des années, ce qui démontre leur motivation politique», souligne-t-elle.

    Le moment est d’autant plus mal choisi que la Cour spéciale pour le Kosovo s’apprête elle-même à lancer ses premiers mandats d’arrêt. Ce nouveau tribunal de la Cour pénale internationale, installé lui aussi à La Haye, a pour unique but de faire juger les responsables kosovars de crimes lors de la guerre de 1998-1999. «Cette cour sera plus à même de juger les responsables kosovars de haut rang», estime Milica Kostic, qui rappelle qu’en Serbie, le bureau spécial du procureur pour les crimes de guerre n’a pas de chef depuis plus d’un an.

    Président serbe bloqué

    Cette arrestation a tendu encore davantage les relations houleuses entre Belgrade et Pristina. La Serbie ne reconnaît toujours pas l’indépendance du Kosovo, revendiquée en 2008, et la «normalisation des relations» entre les deux pays, un processus supervisé par l’Union européenne, n’avance que très lentement.

    Les ministres kosovars ont assuré «tout faire» pour la libération rapide de l’ancien chef du gouvernement. En Serbie, le Premier ministre Aleksandar Vucic a estimé qu’il serait «absurde que la France ne respecte pas la loi» et refuse l’extradition.

    Ardian Gjini, président du groupe parlementaire de l’Alliance pour le futur du Kosovo (AAK), parti d’opposition dont le leader est Ramush Haradinaj, a appelé à l’interruption du dialogue jusqu’à la suspension des mandats d’arrêts serbes contre les responsables kosovares. Le président serbe Tomislav Nikolic, qui devait passer le Noël orthodoxe dans une ville serbe du Kosovo, s’est vu refusé hier l’entrée sur le territoire par les autorités kosovares.

     

    Pourquoi donc a-t-il fallu qu’il débarque du côté français de l’aéroport international de Bâle-Fribourg-Mulhouse? Ramush Haradinaj a été arrêté dès sa descente d’avion, sur la base d’un mandat d’arrêt émis par la Serbie en 2004. L’ancien premier ministre du Kosovo s’est rendu à plusieurs reprises en Suisse, mais il a aussi assisté, sans être inquiété, au match France/Albanie, à Marseille en juin dernier. En revanche, le 17 juin 2015, il avait été arrêté à l’aéroport de Ljubljana. Quand on fait, comme lui, l’objet d’un mandat d’arrêt transmis par la Serbie à Interpol, tout déplacement revient à jouer sa liberté à la roulette russe, même si l’aventure se termine en général sans trop d’encombres. En Slovénie, Ramush Haradinaj a été remis en liberté le soir même de son arrestation et il a pu quitter le pays deux jours plus tard. Les choses ne devraient pas se passer très différemment en France.

    Acquitté à deux reprises par le TPI

    La Serbie réclame pourtant l’extradition de cet ancien commandant de l’Armée de libération du Kosovo (UÇK), acquitté à deux reprises par le Tribunal pénal international de La Haye (TPIY). Ramush Haradinaj était poursuivi pour la torture et le massacre de civils non-albanais dans la «zone opérative» de la Dukagjin qu’il dirigeait. L’homme est né en 1968 dans cette région de l’ouest du Kosovo, où d’intenses combats opposèrent les séparatistes albanais aux forces serbes dès le printemps 1998.

    C’est en mars 2005 qu’il est inculpé pour la première fois, alors qu’il vient d’assumer la charge de premier ministre du Kosovo, dont il démissionne aussitôt pour se présenter devant ses juges de La Haye. Acquitté en avril 2008, il est replacé en détention en 2010, le Tribunal ayant exceptionnellement ordonné l’ouverture d’un nouveau procès: en effet, pas moins de neuf témoins à charge capitaux de l’accusation ont été tués ou ont trouvé la mort dans des circonstances étranges au cours de la première procédure.

    L’acquittement final de Ramush Haradinaj, le 29 novembre 2012, a mis un terme à ce long parcours judiciaire, mais pas aux doutes qui subsistent. La Serbie parle d’un procès «truqué», et beaucoup d’organisations de défense des droits de la personne s’interrogent sur le verdict. Dès l’annonce de l’arrestation de Ramush Haradinaj, mercredi soir, le premier ministre serbe Aleksandar Vucic, a donc réclamé son extradition, en assurant que la justice de son pays, qui a dressé un acte d’accusation partiellement différent de celui du TPIY, avait bien assez de preuves et de témoins pour le juger.

    Nouveau tribunal spécial

    Il est très peu probable que la France accède à cette demande, mais cela ne signifie pas forcément que Ramush Haradinaj en a fini avec la justice. En effet, un nouveau Tribunal spécial pour les crimes de l’UÇK doit émettre ses premières accusations dans les prochains mois. Ce tribunal, résultat direct de l’enquête menée par le Suisse Dick Marty, est intégré au système judiciaire du Kosovo, mais il est «délocalisé» à La Haye, avec des juges et des procureurs internationaux.

    Au vrai, le nom de Ramush Haradinaj ne figure pas dans le rapport présenté en décembre 2010 par le député suisse devant l’Assemblée parlementaire du Conseil de l’Europe: Dick Marty s’est concentré sur le «groupe de la Drenica», c’est-à-dire les proches compagnons d’Hashim Thaçi, élu président de la République en avril dernier. L’arrestation de Ramush Haradinaj est néanmoins venue tétaniser encore plus les milieux politiques du Kosovo, qui attendent avec inquiétude les premiers actes d’accusation.

    Engagé dans l’opposition, le parti de Ramush Haradinaj, l’Alliance pour l’avenir du Kosovo (AAK), s’est opposé à la création de ce nouveau tribunal tout comme à la poursuite du poussif «dialogue» entre Pristina et Belgrade. Dès mercredi soir, Avni Arifi, le porte-parole de l’AAK, tonnait que l’arrestation de Ramush Haradinaj était le «seul résultat» de ce dialogue. Il est vrai qu’elle ne va pas dans le sens de la «normalisation» des relations entre le Kosovo et la Serbie, tant souhaitée par l’Union européenne.

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