• Le bureau suisse des crimes de guerre (5 février 2019)

    Le bureau suisse des crimes de guerre

    Sept ans après sa création, l’unité suisse des crimes de guerre n’a transmis aucun dossier au Tribunal fédéral et une des personnes sous enquête est détenue sans procès depuis plus de quatre ans.

    La procureure Laurence Boillat, ancienne cheffe de l'unité des crimes de guerre, affirme avoir été renvoyée pour avoir estimé que ce bureau devrait en faire plus.

    «On nous a vite fait comprendre que l'unité n'allait pas être très importante, car nous n'avions même pas cinq postes à temps plein, dit-elle. Pourtant, nous étions très motivés.»

    Actuellement, deux personnes sous enquête par l'unité chargée des crimes de guerre sont en détention: l'ancien ministre gambien de l'Intérieur, Ousman Sonko, et l'ancien chef des rebelles libériens, Alieu Kosiah, emprisonné en Suisse depuis plus de quatre ans.

    Rapidement dépassé

    Suite à la ratification du Statut de Rome fondant la Cour pénale internationale (CPI), la responsabilité des crimes internationaux tels que les crimes de guerre, les crimes contre l'humanité et le génocide a été transférée de la justice militaire au Ministère public de la Confédération (MPC ) dirigé par le procureur général Michael Lauber. Laurence Boillat qui travaillait déjà pour le MPC, a été chargée de mettre en place l'unité des crimes de guerre. L'unité a rapidement reçu des plaintes judiciaires, émanant principalement d'organisations non-gouvernementales (ONG), en particulier de TRIAL International à Genève.

    Mais ils ont vite été dépassés. «Dans ce domaine spécialisé, il est ridicule d'imaginer que les choses pourraient bien avancer avec une si petite équipe», déclare Laurence Boillat, qui regrette de n’avoir pu disposer de davantage de personnel en dehors de deux procureurs, deux magistrats et d'un responsable du secrétariat.

    Sous pression politique?

    Les affaires de crimes de guerre sont complexes et nécessitent des spécialistes, souligne-t-elle. Comme les crimes ont été commis hors de Suisse, les procureurs doivent faire venir des témoins du pays concerné ou s'y rendre pour enquêter. Laurence Boillat relève que le MPC a trouvé les moyens de lutter contre les crimes économiques et le terrorisme. Mais le personnel de l'unité chargée des crimes de guerre a souvent dû collaborer à ces enquêtes.

    Laurence Boillat souligne qu'il y avait des pressions politique venant d'en haut, en particulier dans les cas de «personnes politiquement exposées (PPE)» comme l'ancien ministre algérien de la Défense, Khaled Nezzar, et Rifaat Al-Assad, oncle du président syrien actuel. Mais de telles pressions n'existaient pas pour les enquêtes concernant les demandeurs d'asile en Suisse, remarque-t-elle.

    Au fur et à mesure que les problèmes s'accumulaient, Laurence Boillat a relevé à voix haute qu'un verrou avait été mis en place pour certaines enquêtes. Ses chefs ont alors décidé fin 2015 qu'ils n'avaient plus besoin de ses services.

    Interpellé par swissinfo.ch, le bureau du procureur général renvoie aux réponses officielles aux questions soulevées par les parlementaires sur le sujet.

    Tout va bien

    A l’interpellation  déposée par la parlementaire libérale-radicale (PLR, droite) Christa Markwalder en septembre 2017, l’autorité de surveillance du MPC a notamment répondu: «Le domaine Droit pénal international a été introduit en 2012; depuis 2016, ce domaine a été rattaché à la section Entraide judiciaire et Droit pénal international. (…) Les possibilités de la poursuite pénale sont limitées et dépendent étroitement de la volonté de coopération des États impliqués», tout en rappelant que des dizaines de cas avaient été traités: «La plupart des procédures ont été liquidées par des non-lieux ou des classements; à ce jour, aucune mise en accusation n'a encore été adressée au Tribunal pénal fédéral.»

    Après avoir précisé qu’une évaluation était en cours au MPC, l’autorité de surveillance écrit qu’elle «considère toujours que les moyens mis en œuvre par le MPC dans le domaine du droit pénal international sont suffisants pour permettre un traitement adéquat des tâches. Dans la mesure cependant où le MPC doit également traiter d'autres champs d'infractions (comme par ex. dans le domaine du terrorisme, de la protection de l'Etat ou de la criminalité économique), la question de savoir combien de ressources doivent être dédiées aux divers domaines constitue en fin de compte une question de fixation des priorités stratégiques par le procureur général de la Confédération.» Des réponses qui n’ont pas dissuadé le député socialiste Carlo Sommaruga de déposer une interpellation  en décembre dernier sur le sujet.

    Critiques d’experts de l’ONU

    D'autres voix ont également exprimé leurs préoccupations , notamment TRIAL International et deux rapporteurs de l’ONU. En avril 2018, les rapporteurs spéciaux des Nations unies sur la torture et l'indépendance des juges et des avocats ont écrit au gouvernement suisse: «Les allégations persistantes d'ingérence politique sapent l'indépendance du pouvoir judiciaire au nom d'intérêts qui ne semblent être ni l'État de droit ni la justice.»

    Dans une lettreLien externe aux experts de l’ONU, le ministre des Affaires étrangères, Ignazio Cassis, a réfuté les allégations et affirmé que «la Suisse attache une grande importance à la lutte contre l'impunité, en particulier pour des crimes relevant du droit international, y compris la torture.»

    L'ancien ministre algérien de la Défense, Nezzar, a été arrêté en Suisse en 2011 après une plainte déposée par TRIAL pour crimes de guerre présumés entre 1990 et 1994. Il a été libéré après son interrogatoire et renvoyé en Algérie. Le MPC a classé l'affaire début 2017, affirmant qu'il n'existait aucune preuve d'un conflit armé en Algérie au cours de la période en question. Mais, un an plus tard, le Tribunal pénal fédéral a annulé le classement de l'affaire Nezzar en déclarant qu'il y avait effectivement eu un conflit armé en Algérie au début des années 90. La Cour suprême a donc ordonné au MPC de reprendre l'affaire.

    En détention provisoire depuis 4 ans

    Le premier cas susceptible d'être jugé est celui d’un ancien chef rebelle libérien, Alieu Kosiah. Cette affaire avait été portée par l'ONG suisse Civitas Maxima, dont le directeur, Alain Werner, déclarait à swissinfo.ch en 2017 qu'elle était «bien avancée» et qu'il espérait qu'elle passe en justice en 2018. Mais Alieu Kosiah est toujours en détention provisoire, depuis novembre 2014.


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