• Les grandes puissances face à une Troisième Guerre mondiale  ?

    Frappes russes en Syrie, où Moscou a choisi de défendre Bachar Al Assad qu’Arabes et Occidentaux veulent renverser, attentats sanglants en Turquie, qui semble être au bord de la guerre civile, reprise des violences israélo-palestiniennes, montée du clivage chiite-sunnite, consolidation du groupe État islamique, aggravation généralisée de la menace terroriste…

    On a l’impression d’un déchaînement multipolarisé de la violence. Les talibans regagnent du terrain en Afghanistan, le Yémen est à feu et à sang, le Soudan du Sud également, la RDC n’est toujours pas stabilisée, le chaos règne en Irak et en Libye, le groupe État islamique en Afrique de l’Ouest (ex-Boko Haram) sévit toujours au Nigéria, la violence n’est pas maîtrisée en Égypte, la paix n’est pas signée entre l’Ukraine et la Russie. Les opinions sont légitimement inquiètes face à la place croissante qu’occupent les conflits dans les médias. La guerre fait partie du paysage quotidien. La Troisième Guerre mondiale est de plus en plus souvent évoquée.

    Une analyse difficile

    Il est pourtant tout à fait exagéré de parler d’une telle perspective. Cela démontre plus notre tendance à analyser le présent avec les critères du passé, les difficultés de trouver de nouvelles grilles d’analyses face à des évolutions stratégiques aussi importantes que rapides, qu’un diagnostic pertinent de la réalité. N’a-t-on pas parlé auparavant de « nouvelle guerre froide », depuis peu de « troisième Intifada » et depuis des lustres de « nouveaux Munich »  ? Ces catégories connues sont confortables car elles nous permettent de nous adapter plus facilement à des situations nouvelles. Mais elles ne sont pas exactes d’un point de vue stratégique, et il est dangereux de plaquer des grilles de lecture obsolètes à des situations déjà suffisamment dangereuses. Pas la peine d’aggraver la situation par des diagnostics erronés.

    Des conflits pas tous liés

    Les conflits se multiplient dans un monde globalisé (ou l’information circule plus que jamais), mais cela ne crée pas un conflit mondial et global. S’il y a des conflits sur une grande partie de la surface de la planète, s’il y a des interactions évidentes entre certains d’entre eux, des liens plus diffus mais réels parmi d’autres, il n’y a pas pour autant de critères clivants qui les uniraient. Ils n’opposent pas tous les mêmes protagonistes.

    Il n’y a pas un système d’alliances globales et antagonistes qui a débouché par leur rigidité sur la Première Guerre mondiale. Il n’y a pas une puissance totalitaire agressive dotée d’une volonté hégémonique globale d’extension territoriale qui a débouché sur la seconde. L’État islamique commet des horreurs mais n’a pas la puissance du Troisième Reich.

    Il n’y a pas un clivage idéologique binaire basé sur une logique des blocs divisant le monde en deux, où tous les conflits opposent indirectement les deux superpuissances comme pendant la guerre froide, qualifiée par certains déjà de Troisième Guerre mondiale. Oublie-t-on que les néoconservateurs parlaient de la Quatrième Guerre mondiale après le 11-Septembre ?

    L’absence de contrôle des grandes puissances

    Ce qui a également changé avec l’époque des deux guerres mondiales, c’est la dissuasion nucléaire. La Russie n’a ni la volonté ni les moyens de s’attaquer aux États-Unis. Ces derniers savent qu’affronter Moscou constituerait un prix à payer trop élevé. Des conflits locaux peuvent créer des métastases en dehors de l’endroit où ils sont nés sans déboucher sur un affrontement généralisé. Il n’y a pas un clivage unique et global à l’échelle de la planète, mais de multiples clivages parfois superposés, parfois divergents.

    Ce qui est manifeste, c’est l’absence de contrôle des grandes puissances sur la situation. On déplorait jadis un condominium étouffant ; on regrette aujourd’hui l’absence de gendarmes mondiaux ou régionaux efficaces.

    L’absence de sécurité collective

    Mais, là encore, il convient de ne pas idéaliser le passé, ni de regretter à tort une guerre froide faite d’injustice mais basée sur l’ordre. Guerres de décolonisations, du Vietnam, coups d’État militaires à profusion (dont celui en Indonésie en 1965 qui a fait 500 000 morts !), la guerre froide ne fut pas paisible. Mais elle a principalement fait des victimes au Sud, comme les conflits d’aujourd’hui.

    Ce dont nous sommes victimes, ce n’est pas du risque d’une Troisième Guerre mondiale, mais de l’absence d’un véritable système de sécurité collective. Les espoirs d’un nouvel ordre mondial après la fin du monde bipolaire n’ont pas été confirmés et nous en payons le prix.

    Pascal Boniface,directeur de l’Iris (Institut de relations internationales et stratégiques)

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