-
Les minorités indonésiennes sous la pression islamiste
Si les résultats officiels confirment sa victoire, l’élection de Joko Widodo à la présidence sera accueillie avec un certain soulagement dans les milieux chrétiens indonésiens. Musulman originaire de Java, élu gouverneur de Djakarta sur un « ticket » avec un vice-gouverneur chrétien d’origine chinoise, Joko Widodo a proclamé son attachement à la Constitution de 1945 et aux cinq principes du « Pancasila », conçus par Sukarno, le père de l’indépendance, comme la fondation d’un nationalisme religieusement neutre : croyance en « une divinité unique et supérieure », humanitarisme juste et civilisé, unité de l’Indonésie, démocratie fondée sur le consensus et justice sociale pour tous les Indonésiens.
Les musulmans libéraux interprètent cette « doctrine » comme l’expression de « l’union dans la diversité ». Pour eux, l’unité du pays et son pluralisme ethnique, religieux et culturel excluent l’idée d’un État islamique.
Des groupes extrémistes influents
Dans le camp islamiste, certains dénoncent le Pancasila comme « haram » (interdit par la loi islamique) parce que justifiant l’existence de l’État indonésien, source d’affaiblissement pour la Oumma, la communauté des musulmans. D’autres acceptent l’idée d’une nation indonésienne mais voient le Pancasila comme un moyen de faciliter le rôle de l’Islam dans un État qui reconnaît officiellement six religions : islam, protestantisme, catholicisme, hindouisme, bouddhisme et confucianisme.
L’élection présidentielle a vu quatre des cinq partis islamiques soutenir la candidature de Prabowo Subianto, le concurrent de Joko Widodo. Le soutien apporté à l’ex-général par le Front des défenseurs de l’islam (FPI) et le Forum de l’oumma et de l’islam (FUI) a fait planer le doute sur sa volonté de faire respecter le pluralisme religieux.
Ces groupes extrémistes sont en effet célèbres pour leurs actions « contre le vice », les musulmans « déviants » et la construction d’églises ou de temples. En revanche, le parti du Réveil National (PKB) a été le seul parti islamique à soutenir Joko Widodo qui devrait être moins redevable aux musulmans conservateurs.
L’ombre de la charia
« L’élection de Prabowo pousserait l’ensemble du pays vers un avenir à coloration wahhabite » affirme le jésuite Franz Magnis-Suseno, directeur de la fondation Driyarkara. « Les extrémistes musulmans qui l’ont soutenu exigeraient des compensations comme l’interdiction des ahmadis et des chiites, considérés comme « déviants », ou l’autorisation de la communauté musulmane locale pour la construction de toute nouvelle église. Mais aussi l’adoption d’une loi sur « les relations pacifiques entre les religions », qui imposerait des limites sévères à la liberté de culte, à la possibilité de changer la religion et à l’activité missionnaire ».
« Autre revendication islamiste, ajoute le jésuite, l’introduction de la charia, aujourd’hui partiellement appliquée dans environ 200 localités, au niveau national et une consultation préalable du Conseil des Oulémas Indonésiens (MUI) pour toutes les lois et règlements concernant la religion ».
Le défi du pluralisme religieux
Quel que soit le vainqueur, « les partis islamiques poursuivront leur stratégie d’influence au sein des institutions et de la société civile » analyse l’historien Merle Calvin Ricklefs, spécialiste de l’Indonésie. Dans une société majoritairement musulmane (86 %) et de plus en plus islamisée, le maintien du pluralisme religieux reste un défi.
« Au niveau national comme au niveau local, les autorités ne remplissent pas leurs obligations légales de protection des minorités religieuses. Parfois la police se met du côté des groupes islamistes extrémistes », souligne Andreas Harsono, représentant de Human Rights Watch. « Ce qui manque, c’est la volonté politique de faire respecter la Constitution, un véritable test pour le nouveau président ».
-
Commentaires