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Les Pays-Bas ne peuvent être considérés comme entièrement responsables à Srebrenica
Mardi 27 juin 2017, l’État néerlandais a été reconnu partiellement responsable par la cour d’appel de la Haye pour le meurtre de 350 musulmans lors du massacre de Srebrenica en 1995.
«La Cour juge que l'Etat néerlandais a agi illégalement» et «condamne l'Etat à verser une compensation partielle» aux familles des victimes, a déclaré la juge Gepke Dulek. Environ 8000 hommes et garçons musulmans ont perdu la vie en 1995 lors du génocide de Srebrenica.
La Cour d'appel de La Haye a confirmé que l'État néerlandais est tenu partiellement responsable de la mort de 350 musulmans lors du massacre de Srebrenica en 1995, pendant la guerre en Bosnie. En cause, la décision prise le 13 juillet 1995: alors que les troupes serbes de Bosnie du général Ratko Mladic massacraient déjà des musulmans depuis de nombreuses heures, 350 musulmans avaient été expulsés d'une base militaire néerlandaise, dont les environs avaient été conquis par les troupes bosno-serbes, dans le secteur de Srebrenica.
Cet arrêt de la Cour d'appel de La Haye confirme une une décision rendue en 2014, selon laquelle les soldats de maintien de la paix néerlandais auraient dû savoir que les musulmans cherchant refuge dans leur base, dans la localité de Potocari, seraient assassinés par les troupes bosno-serbes si on les expulsait, ce qui fut le cas. L'Etat néerlandais avait fait appel du verdict, évoquant la raison que personne n'aurait pu prévoir un génocide.
«La Cour juge que l'Etat néerlandais a agi illégalement» et «condamne l'Etat à verser une compensation partielle» aux familles des victimes, a déclaré la juge Gepke Dulek, ajoutant que les Casques bleus néerlandais ont facilité la séparation des hommes et des garçons musulmans «en sachant qu'il y avait un risque réel qu'ils subissent un traitement inhumain par les Serbes de Bosnie.»
Les troupes néerlandaises, connues sous le nom de «Dutchbat», retranchées dans leur base, avaient recueilli des milliers de réfugiés dans l'enclave des Nations unies. Mais, submergés, elles avaient d'abord fermé les portes aux nouveaux arrivants, puis permis aux Serbes de Bosnie d'évacuer les réfugiés. Les hommes et les garçons avaient alors été séparés et mis dans des bus.
«Dutchbat aurait dû prévenir ces hommes des risques qu'ils couraient et aurait dû leur laisser le choix de rester dans l'enclave pendant que leur famille était évacuée», a poursuivi la juge.
Toutefois, la Cour d'appel condamne l'Etat néerlandais à verser seulement 30% des dommages et intérêts réclamés par les familles des victimes car elle «n'est pas certaine que ces personnes n'auraient pas été tuées plus tard même si elles étaient restées dans l'enclave». Environ 8000 hommes et garçons musulmans ont perdu la vie en 1995 lors du génocide de Srebrenica, théâtre des pires atrocités commises en Europe depuis la Seconde Guerre mondiale.
Le rôle des Casques bleus néerlandais continue de susciter la controverse
Plus de 200 anciens Casques bleus néerlandais demandent par ailleurs des dommages et intérêts au gouvernement pour les avoir envoyé à Srebrenica remplir «une mission irréaliste, dans des circonstances impossibles», selon les mots prononcés l'année dernière par Jeanine Hennis-Plasschaert, ministre de la Défense.
«206 de mes clients réclament une compensation de 22.000 euros chacun», a déclaré leur avocat à l'émission télévisée néerlandaise Jinek lundi soir. Au total, les dommages s'élèveraient à environ 4,5 millions d'euros.
La journaliste et ancienne porte-parole pour le procureur du Tribunal international pour l’ex-Yougoslavie Florence Hartmann* revient sur le sens de ce jugement. Voici un entretien publié dans le quotidien "La Croix" le 29 juin 2017:
La Croix : La cour d’appel de la Haye a jugé les Pays-Bas « partiellement » responsables du meurtre de 350 musulmans lors du massacre de Srebrenica en 1995. Les Pays-Bas peuvent-ils réellement être condamnés pour l’inaction des Casques bleus néerlandais ?
Florence Hartmann : Les Pays-Bas ne peuvent être considérés comme entièrement responsables. À l’origine, ce contingent de Casques bleus néerlandais a été envoyé sous mandat des Nations Unis, avec pour mission de protéger les populations bloquées dans l’enclave de Srebrenica. La résolution de l’ONU autorisait l’emploi de la force si nécessaire. Cependant, les Casques bleus néerlandais ont été abandonnés, laissés dans l’enclave sans armes ni munitions. Les victimes n’ont eu d’autre choix que de se tourner vers la justice néerlandaise pour chercher condamnation. En effet, l’ONU dispose d’une immunité, elle ne peut être attaquée en justice. La décision de la cour d’appel de la Haye est un compromis : elle permet aux victimes de voir reconnaître l’impunité commise, sans pour autant en attribuer toute la responsabilité à l’État néerlandais.
Justice peut-elle alors être obtenue dans ce qui s’est passé ?
F. H. : Cela semble très improbable. L’ONU n’est elle-même pas responsable. La décision d’abandonner les Casques bleus néerlandais à leur sort a été prise secrètement, lors de « discussions de couloir », par les puissances influentes du Conseil de Sécurité de l’ONU. Leur but étant de simplifier les cartes en vue des négociations de paix en Bosnie. Aujourd’hui, tout le monde se cache derrière tout le monde, et en particulier, ces membres influents se cachent derrière l’immunité de l’ONU. S’il était possible d’engager la responsabilité de l’ONU, une enquête pourrait être ouverte. Elle permettrait de déterminer dans quelles mesures les décisions prises (de ne pas approvisionner les Casques bleus en munition par exemple) relevaient de l’organisation internationale elle-même, de ses dysfonctionnements, ou au contraire de choix politiques pris par des gouvernements membres.
S’il est presque impossible de juger les responsables, quel sens donner à ce jugement ? Doit-on continuer à chercher, à juger ?
F. H. : Ce jugement a bien sûr du sens, et ce pour deux raisons. La première est de comprendre comment cela a été possible. Comment des populations triplement protégées (sur le terrain par les Casques bleus, au niveau légal par des résolutions de l’ONU ainsi que de l’Otan) se sont retrouvées piégées dans une prison à ciel ouvert. Comment elles se sont retrouvées livrées à leurs bourreaux qui, déjà depuis quatre ans, affirmaient ouvertement vouloir les tuer. La seconde raison est d’éviter que cela ne recommence à l’avenir. Pour ces deux raisons, la décision de la cour de la Haye va dans le bon sens. Moralement, il est important que la cour n’ait pas rejeté la démarche des associations de victimes qui ont lancé la procédure judiciaire. Même si elles n’ont pas obtenu entièrement satisfaction, la décision de la cour montre que nous ne renonçons pas complètement à nos valeurs européennes.
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