Un tribunal néerlandais a jugé mercredi 17 juillet 2014 les Pays-Bas civilement responsables de la mort de plus de 300 musulmans à Srebrenica en 1995, pendant la guerre de Bosnie. Ils étaient en principe sous la protection de casques bleus néerlandais.
Cette décision pourrait freiner l’envoi de troupes par des États, peu enclins à être tenus responsables des agissements de leurs soldats.
Que s’est-il passé à Srebrenica en juillet 1995 ?
La ville de Srebrenica a été le théâtre d’un génocide, considéré comme le pire massacre en Europe depuis la Seconde guerre mondiale. Près de 8 000 hommes et garçons musulmans ont été assassinés en quelques jours à la mi-juillet 1995 par les forces serbes de Bosnie du général Rakto Mladic. Ce massacre est à replacer dans le contexte de la guerre de Bosnie, déclenchée par la déclaration d’indépendance de ce pays en avril 1992.
Srebrenica, localité de 20 000 habitants, était une enclave musulmane dans une zone serbe, à l’est de la Bosnie-Herzégovine. Le 21 avril 1993, Sarajevo est déclarée « zone de sécurité » par les Nations unies et entre 400 et 600 Casques Bleus de la Forpronu (Force de protection des Nations unies) sont déployés pour protéger la population.
En 1995, la pression des Serbes de Bosnie s’accentue sur Srebrenica et ce malgré les bombardements menés par l’Otan. Le mandat de l’ONU ne permettait pas aux Casques Bleus, majoritairement d’origine néerlandaise, d’utiliser la force. Ils n’ont pas pu empêcher l’action des forces serbes de Bosnie.
Pourquoi les Pays-Bas ont-ils été condamnés ?
Les Pays-Bas ont été jugés civilement responsables, par un tribunal de La Haye, de la mort des 300 musulmans que les Casques Bleus avaient laissé partir de leur base militaire près de Srebrenica. « Le Dutchbat (NDLR : bataillon de Casques Bleus néerlandais à Srebrenica) aurait dû tenir compte de la possibilité que ces hommes soient victimes de génocide », a assuré la juge Larissa Elwin.
L’après-midi du 13 juillet 1995, le bataillon, qui accueillait près de 5 000 musulmans des environs, a évacué 300 hommes de sa base militaire, pour des raisons sanitaires. Les médecins avaient averti les Casques Bleus de la propagation de maladies contagieuses au sein de la base.
Pour cette raison, une partie des réfugiés, des femmes et des enfants, avait été renvoyée auparavant par autocars vers le centre de la Bosnie. « Ils étaient arrivés sains et saufs. Le monde entier avait les yeux rivés sur la Bosnie : que pouvait-il arriver à ces hommes ? », a déclaré un ex-adjudant du Dutchbat, Wim Dijkema.
Étaient-ils seuls responsables ?
La juge a cependant souligné que les Pays-Bas ne pouvaient pas être tenus responsable de la prise de l’enclave, ni de la mort de l’ensemble des musulmans. Pierre Hazan, spécialiste de la justice internationale, estime que la décision est « correcte mais insuffisante ».
« Le commandant néerlandais avait demandé plusieurs fois un appui aérien qui n’est jamais arrivé. Et le nombre de Casques Bleus était inférieur à ce qui était prévu. » En outre, les Néerlandais étaient « soumis à des ordres contradictoires : protéger la population et éviter toute perte du côté onusien. » Pour le spécialiste, la responsabilité n’incombe donc pas uniquement pas aux Pays-Bas.
Ce jugement est-il inédit ?
Les Nations unies disposent d’une immunité, liée à leur statut d’organisation internationale. La Charte des Nations unies accorde également une immunité aux contingents nationaux mis au service de l’ONU. La responsabilité des individus ne peut donc pas être engagée. « Les Mères de Srebrenica » ont donc attaqué les Pays-Bas devant la justice néerlandaise.
Ce jugement n’est pas une première aux Pays-Bas. « En 2008, un tribunal néerlandais a estimé que, comme le dit le droit international, les militaires étaient sous commandement onusien. Par conséquent la responsabilité de l’État néerlandais ne pouvait pas être engagée », raconte Clémentine Boris, maître de conférences à Nanterre et membre du Centre de droit international de Nanterre.
Cinq ans plus tard, la Cour suprême des Pays-Bas a été saisie sur l’affaire de la mort de trois musulmans à Srebrenica, eux aussi évacués de la base néerlandaise. La Cour a rendu un jugement inédit : elle a estimé que les Casques Bleus étaient sous double commandement onusien et étatique. L’État est condamné à indemniser les familles de victimes, à hauteur de 20 000 €.
Le jugement de mardi est dans la même veine que celui de la Cour suprême mais concerne un plus grand nombre de victimes.
Quelles conséquences pourrait avoir cette décision ?
Cette décision émane d’un tribunal néerlandais, elle n’a donc pas de caractère jurisprudentiel en dehors des Pays-Bas. Elle pourrait néanmoins servir de source d’inspiration à d’autres juges. La principale conséquence de ce jugement est surtout politique et fait rejaillir la question de la responsabilité des forces armées. Pour Clémentine Boris, « la décision va agir comme un frein. Les autres États vont s’en servir comme prétexte pour ne pas intervenir dans les missions de l’ONU ».